Missionné par Fleur Pellerin, ce net-entrepreneur (Netvibes, Jolicloud) distille calmement ses prophéties numériques.
Missionné par Fleur Pellerin, ce net-entrepreneur (Netvibes, Jolicloud) distille calmement ses prophéties numériques.

On repère son visage sur la photo des membres du Conseil national du numérique (CNN) nommés le 18 janvier pour conseiller Fleur Pellerin. A 39 ans, c’est l’une des figures du Web français qui rejoint l’entourage de la ministre chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l’Innovation et de l’Economie numérique. En décembre, Tariq Krim, ex-PDG de Netvibes et fondateur de la start-up Jolicloud, a récupéré une obscure mission de «talent mapping» pour le ministère. A savoir, le recensement des entrepreneurs du Net, parisiens et provinciaux, l’identification des forces de l’Hexagone dans ce domaine. L’idée est de révéler l’attractivité du pays aux jeunes patrons et aux investisseurs et de rendre visibles les sociétés les moins connues. Bref, le voilà promu parrain des jeunes pousses de la Toile. Alors que, depuis quelques années, il avait disparu des écrans radars.
Oubliée la personnalité en vue, le coureur des conférences internationales, le gourou professant un avenir du Web visionnaire. Alors pourquoi lui ? Parce que c'est le plus américain des start-upers parisiens. «Je n'ai pas choisi la capitale pour des raisons rationnelles mais pour la proximité avec mes frères, mes nièces et parce que c'est une superville quand on sort du bureau.»
Sa chemise est bien coupée, sa prestance évidente, mais il n’arbore aucun signe ostentatoire de richesse. On aurait pu l’imaginer millionnaire du Net, suite à la revente de Netvibes à Dassault Systèmes pour 20 millions d’euros en 2012. Il est pourtant bien loin des poids lourds du Web français comme Xavier Niel (Free) ou Marc Simoncini (Meetic). Plus tête pensante que financier.
Ce célibataire est un habitué du classieux Silencio mais il reçoit chez Claus, un café berlinois du 1er arrondissement parisien, calé dans une grande banquette jaune sur mur blanc. Il en apprécie la déco et se dit «fan de design». La musique d'ambiance lounge se fait discrète et posée, à l'image de l'homme. Il demeure distant, comme s'il avait préparé à l'avance les réponses à donner. Il est peu loquace sur son appétence pour le cinéma indépendant, il fait court sur son goût pour le hip-hop ou la scène electro européenne qu'il suit pourtant avec attention. Mais il n'hésite pas à sortir de vieux magazines de hacking des années 90 pour montrer qu'il y a publié des articles.
Son aura passée, Tariq Krim la doit surtout au succès de Netvibes. En 2005, il lance un portail d'agrégation de contenus personnalisés qui permet aux internautes d'accéder à tous leurs contenus mail, Facebook et flux RSS en une seule page. Pratique. «Il était déjà avant-gardiste, comprenait très bien le marché informatique et web avant l'heure», évalue un ami. Le service séduit en Europe et aux Etats-Unis. Mais il y a une faille dans le système : ses capitaux risqueurs américains mettent l'accent sur la rentabilité, alors que le fondateur veut «grandir» avant tout. En 2008, cette divergence de points de vue coûte son poste de direction à Tariq Krim. Ni une ni deux, il monte une nouvelle entreprise : Jolicloud, une société de systèmes d'exploitation pour netbooks fondés sur Linux. Il convainc Niklas Zennström, fondateur de Skype, et Gilles Samoun, le créateur de Qualys, de mettre plus de 3 millions d'euros dans Jolicloud. «Tariq est l'un des meilleurs concepteurs produits en Europe et l'un des rares à avoir une vraie dimension internationale», résume Niklas Zennström. Le dernier sujet de prédilection de Tariq Krim est le cloud computing : «C'est l'un des enjeux les plus importants de ce siècle, savoir dans quels serveurs, sur quels territoires sont stockées nos données privées. L'Europe est encore exclue de ce jeu de pouvoir.» Pas étonnant que son entreprise vienne de lancer Jolidrive, une offre de cloud computing tous budgets qui rassemble l'ensemble des données personnelles quel que soit le support ou la plateforme utilisés.
Fils de parents algériens - lui, professeur d'économie, elle, prof de sport - il grandit dans le Marais avec ses trois frères. «J'ai pris conscience très tôt qu'on n'avait pas tous les mêmes chances.» Mais ne lui parlez pas d'un supposé rôle de représentant des minorités visibles, il refuse de s'y voir cantonné. Lui vit une enfance aisée, apprend le piano au conservatoire, étudie au lycée Charlemagne et reçoit son premier ordinateur à 9 ans. A 10, il crée son premier serveur BBS avec un copain de classe pour échanger des messages sur Minitel. Plus tard, il s'inscrit en physique à l'université Paris-VII à Jussieu, mais passe son temps libre dans la salle d'informatique de la fac. C'est l'un des premiers utilisateurs français du navigateur Mosaic, l'un des premiers érudits d'Internet. «Je me souviens avoir fait la leçon à Jean-François Bizot qui venait de publier dans Actuel un papier sur le cyber truffé de fautes. Au lieu de se moquer de moi, il m'a proposé de rejoindre l'équipe.» Puis il étudie à l'Ecole nationale supérieure des télécommunications (ENST) et décroche un stage chez Sun Microsystems à San Francisco. Embauché pour travailler sur une plateforme de télé interactive, il ne jure que par le projet d'un des directeurs techniques de la boîte. Un certain Eric Schmidt, futur patron de Google, qui conçoit un ordinateur à 500 dollars. De retour en France en 1996, il revient au journalisme et part traiter du multimédia dans la Silicon Valley. Témoin de la bulle internet, issu de la deuxième génération d'entrepreneurs innovants, il se pense bien placé pour aider et «aime beaucoup les (très) longs discours», balance-t-on dans son entourage.
Depuis huit mois, il s'essaie aux «office hours» et répond chaque semaine dans son bureau, aux questions d'un jeune entrepreneur. «Ce sont toujours les mêmes. Quand on veut lancer un projet depuis Paris, on est systématiquement confronté au "gap" entre nos ambitions et le contexte entrepreneurial : les conditions d'obtention des aides à la création d'entreprise, la perception du public, une planification de l'économie en fonction de grands projets, etc.» Il regrette l'absence d'un écosystème, «ce qui fait le succès de la Silicon Valley».Sa mission de talent mapping est restreinte, pratique, le résultat est à rendre fin avril. Car il se défend de faire de la politique. Il n'a jamais milité et refuse de choisir un parti. Durant les heures de gloire de son blog, on l'a vu conseiller le député PS Christian Paul sur le vote de la Dadvsi, première loi sur les droits d'auteurs à l'âge du numérique. «Il a une capacité réelle à éclairer les choix publics, pas comme un lobbyiste, plutôt comme un poisson pilote», résume le député. Plus tard, il a été cité comme référence par Nicolas Sarkozy et fait chevalier des Arts et lettres sous son mandat. Il revient aujourd'hui dans le sillon du PS mais maintient que «l'enjeu est ailleurs : dans la vision la plus juste du futur». Mouais.
Tariq Krim en 7 dates
1972 Naissance à Paris.
1995 Diplôme de l'Ecole nationale supérieure des télécommunications. (ENST).
1996 Journaliste à la Tribune pour le cahier Multimédias.
2005 Création de Netvibes.
2008 Fonde Jolicloud.
Décembre 2012 Choisi par Fleur Pellerin pour recenser les entrepreneurs du numérique.
18 janvier 2013. Installation du conseil national numérique.
Photo Frédéric Stucin