La culture naissante de l'informatique des années 80, les premiers BBS, le hacking et les premiers jours du Web à sa renaissance dix ans plus tard sous le nom de Web 2.0, ont été un terrain formidable de création produit.
Une vision philosophique du logiciel
La philosophie des pionniers du logiciel des années 70 est très présente dans mes produits. C’est en étudiant le travail de Doug Engelbart et d’Alan Kay que j’ai appris les règles de la forme et de la fonction, l’intégration entre le logiciel et le matériel mais aussi à rendre le logiciel moins omniprésent pour privilégier l’intuition de l'utilisateur.

Mes trois règles dans la conception de produits :
J'ai eu la chance d'être un pionnier de plusieurs technologies qui font partie du paysage numérique : Les widgets qui s'installent dans les navigateurs sur un téléphone, le premier netbook (ordinateurs portables à moins de 200 euros) dont le système d’exploitation utilise des technologies Web, la synchronisation permanente entre l’ordinateur et le cloud.
Jai séparés ce section en trois grandes périodes.
- L’ère pré-Internet et les tout débuts du réseau en Europe.
- Les premiers pas de l’Internet grand public et sa folie créative.
- L’ère des start-up, du Web 2.0 et du cloud qui m'ont donné une visibilité internationale.
Ère pré-Internet
(1984-1993)
C’est en 1984 que je découvre deux choses : que je peux réaliser mon propre serveur avec l’ordinateur de la maison. Puis, en me faisant virer du journal de l’école pour avoir critiqué le « plan Informatique pour tous » qui était proposé par le gouvernement et où j’ai compris que le sujet de la technologie était aussi un sujet politique.
Electre BBS (1984)

Mon quartier avait été choisi pour l'expérimentation du Minitel. Il devient le deuxième modem de la maison (mon père, économiste, disposait d’un accès aux services en ligne américains). Grâce à un ami du collège, je crée mon premier serveur en ligne qui utilise son commodore 64 et mon minitel.
Le Minitel était un terminal gratuit offert pour remplacer les annuaires téléphoniques en papier. Certains d'entre nous avaient trouvé le moyen de le connecter à un ordinateur personnel et de créer leur propre serveur. Ce fut ma première expérience de conception d'interface. Des années après j’allais découvrir qu’un service commercial basé sur commodore 64 avait existé aux Etats-Unis. PlayNET, c’est son nom, est d’ailleurs l'ancêtre d’America Online (AOL)
T Blue Box (1991)
Bien avant la téléphonie gratuite, un des passe-temps favoris des férus d’informatique était de trouver des moyens de se connecter gratuitement à des serveurs basés à l’étranger.
Le phone phreaking est apparu dans les années 70 et a été démocratisé par Captain Crunch, mais selon les gens que j’ai rencontrés des années plus tard en californie, la plus élégante des bluebox avait été fabriquée par Steven Wozniak, le cofondateur d’Apple. Selon la légende, avec Steve Jobs ils en auraient même fait commerce avant la création d’Apple.
En europe les choses étaient compliquées avant la mise en ligne par Guru Josh des fréquences qui fonctionnaient en France. Il ne restait plus qu’à construire le produit pour expérimenter le phoneverse.

UNNAMED Mbone pirate radio (1993-95)
L’une des révolutions de l’Internet du début des années 90 était le Multicast, la possibilité de diffuser de l’audio et de la vidéo en temps réel à travers le réseau. À l’époque la technique est expérimentale et utilisée par la Nasa et le MIT.
J’ai utilisé cette technique pour diffuser en continu une radio de musique électronique. Connecter un DAT sur l’entrée son d’une station Unix. Mon audience était assez restreinte mais je sais que j’avais quelques auditeurs de l’autre côté. La qualité sonore était assez médiocre, mais je trouvais fascinant d'expérimenter une diffusion de musique à faible débit jusqu’à ce que l'un des administrateurs système du MIT me demande d'en arrêter ma Web Radio.
Je me rappelle précisément ce qu’il m’avait dit à l’époque: "la diffusion en continu de musique sur l'internet est une idée stupide et n'a pas d'avenir". Un conseil que je n’ai heureusement pas suivi !

Les débuts de l’Internet grand public
(1995 - 1999)
Infonie (1995)
Après m’être fait remercier par le responsable technique de la Vidéothèque de Paris pour avoir convaincu son directeur de transformer son système d'archivage cassette vidéo en plateforme de vidéo numérique à la demande (ce que le Forum des Images, son successeur aura mis en oeuvre 15 ans plus tard), je dois trouver un stage d’urgence. Par le biais d’une rencontre lors d’une des premières démonstrations que je faisais du logiciel Netscape au Salon Interop je me retrouve chez Infonie (merci Christophe Watkins) , un clone d’AOL propriétaire lancé par Bruno Bonnell et Christophe Sapet au service informatique.
Me rendant compte qu’Infonie n’a pas prévu pour ses clients de connexion à l’Internet( ils obligent les utilisateurs à n’utiliser que leur système fermé) je demande à mon responsable et mentor à l’époque Franklin Bohbot si je peux bricoler un accès à l’Internet. Comme le CTO de la société refuse de me donner accès aux ressources informatiques qui sont uniquement dédiées au service propriétaire, je décide d’installer Linux sur mon ordinateur de bureau, d’installer deux cartes réseaux pour créer une passerelle entre Infonie et l’Internet.
Un développeur des équipes de Lyon intrigué par mon projet décide de m’aider. J'apprends avec lui à écrire mon premier driver pour Linux et sur les conseils de mon ami Benjamin Ryzman, je décide d’utiliser une technique nouvelle baptisée IP masquerading. Elle permet d’encapsuler un réseau entier dans mon ordinateur et donc en théorie de gérer des milliers d’utilisateurs. À force de persévérance je réussis à convaincre les équipes commerciales de mettre un bouton Internet sur l’interface du produit. Elle redirige les utilisateurs vers mon petit Dell asmathique.
Le jour du lancement, une majorité des utilisateurs se précipite, comme je m’en doutais, vers le site Internet et boude les services propriétaires. À ma grande fierté, mon PC tient la charge.
Mais dès le lendemain, le directeur technique qui avait snobé notre expérimentation décide de reprendre le projet et de le transférer vers le superordinateur SUN acheté pour l’occasion. Il me proposera également une offre d’embauche. Mais à l’époque je ne rêve que d’une chose, travailler chez ceux qui créent, pas chez ceux qui les utilisent.Un an plus tard, mon voeux sera exaucé car je me retrouve en stage chez OpenTV, une joint-venture entre Thomson et SUN au coeur de la Silicon Valley où j’apprendrai les règles du métier et où mon désir créatif sera respecté.

Radio Nova (1993-1995)
En arrivant à Radio Nova, je me suis lié d’amitié avec une équipe éditoriale complètement différente de celles que j’avais connues auparavant. J’ai été pris sous l’aile de Jean François Bizot et nous avions l’accord suivant : il me faisait découvrir les arcanes de la “culture underground” et moi celles de l’Internet qui démarraient à peine.

S’ensuivirent de nombreuses discussions nocturnes avec John Perry Barlow, l'un des gourous de la cyberculture, Timothy Larry, pape du LSD converti à la réalité virtuelle, Hakim Bey (les zones d'autonomies temporaires qui ont inspiré la création de Burning Man) ou encore Kevin Mitnick, le prince des hackers de l'époque. Je me suis retrouvé au cœur d’un nouveau mouvement. À la fac j’apprenais l’informatique, le soir j’en découvrais la culture.

Nirvanet (1995-1996)
En parallèle de Radio Nova, j’ai collaboré avec Christian Perrot, le premier rédacteur en chef de Nova Magazine et Marie France Perez dans la création d’un des premiers portails consacrés aux cultures numériques. Un projet pour lequel je leur ai ouvert les portes de l'underground technologique de l’époque et organisé des rencontres avec notamment l’écrivain Maurice Dantec et son prophétique Les racines du mal. Le site devenu culte, s’est hélas perdu dans les méandres du premier boom Internet. Relancé plusieurs fois, il a disparu des radars depuis.

Les Technochroniques 1993-2005

Un blog avant les blogs, c’était ma première publication en ligne. Hélas irrégulière jusqu’à ce que le monde me demande de devenir l'un de ses blogueurs officiels. J’ai relancé le service et en 2004 je me suis intéressé à la couverture en ligne de l’élection présidentielle des Etats-Unis. Mon article le plus LU à l’époque : Les Blogs, la nouvelle CB du Web?
Minirezo et REZO.net (1996-1999)

Avec un petit groupe de créateurs web indépendants appelé Le Minirézo (Mona Chollet, David Dufresne, Les Ours, Le Menteur, Arno, et bien d'autres) le Manifeste du Web Indépendant, j’ai proposé la création du portail Rezo.net qui avait pour vocation de devenir le Yahoo underground français. Il a été repris depuis par une autre équipe éditoriale.
PERDU.COM (1996)

Perdu.com est un site que j'ai créé avec Gille Boccon-Gibod. J'ai trouvé l'idée du nom de domaine et il a conçu le site. Le site est devenu culte. Yahoo l'a même classé parmi les sites les plus étranges de l'Internet français.
N@RT (1999)
Avec N@rt, une société française, et Maître Binoche, l'un des plus célèbres commissaires-priseurs, nous avons lancé la toute première vente aux enchères d'œuvres d'art en ligne à Drouot. Il s'agissait d'une collection d'écrits de Dreyfus. La deuxième vente était une sélection de photographies de Man Ray. Un ordinateur Java expérimental prêté par Sun Microsystem a été utilisé pour enregistrer les enchères en temps réel.

Génération MP3 (1999-2007)

En 1999, j'ai lancé le premier blog technologique autour de la musique numérique en France. Initialement baptisé mptrois.com, il a ensuite été rebaptisé Generationmp3. Son mantra : la musique après le CD.
L’ère des start-ups, du Web 2.0 et du Cloud
(1999-2015)
Après avoir écrit, codé et designé pour les autres, j’ai décidé de voler de mes propres ailes au moment où la bulle internet a explosé! Ce sera une époque de 15 ans de folie créative ininterrompue.
Netvibes (2005)

Netvibes a formalisé le concept de page d'accueil personnalisée sur le web. En tant que créateur de blogs et lecteur assidu, je craignais que chacun d'entre nous ne soit bientôt exposé à une avalanche de contenus. Netvibes allait permettre à nos utilisateurs de se concentrer sur une sélection de contenus mis à jour automatiquement.
La première version du produit est lancée depuis un café parisien, la Fée Verte. Le service grandit jusqu’à devenir la troisième page de démarrage aux États-Unis. Utilisé dans plus de 150 pays, il servait un demi-milliard de widgets en 2008. C'était également l'un des premiers projets à intégrer l'API Facebook naissante.
Alors que je souhaitais faire évoluer le produit vers une plateforme sociale et mobile, mon équipe commerciale et les investisseurs voulaient se concentrer sur la vente d’une version moins évoluée en marque blanche du produit. Transformer un produit B2C populaire en produit génértique me semblait une très mauvaise idée. J’ai décidé de quitter la société en avril 2008 pour lancer Jolicloud.
Netvibes reste à ce jour l'une des startups françaises les plus appréciées et récompensées au niveau international.
Netvibes a été rachetée par Dassault Système en 2012.
Jolicloud 2008-2015

Le Jolibook, premier produit de Jolicloud, est la star du Consumer Electronic Show de Las Vegas en 2010.
Jolicloud est l’un des pionniers du cloud computing éthique. Notre mission était de rendre le cloud simple et abordable pour tous. Au fil des ans, nous avons développé une gamme de produits qui a établi les normes dans ce domaine. Même si Jolicloud n'a pas acquis la même traction que Netvibes, je reste impressionné par ce que nous avons construit, avec une équipe d'une vingtaine de personnes basées à Paris.
Nos trois principaux produits :
Joli OS

JoliOS a été le premier OS HTML5 et cloud conçu pour les netbooks et les ordinateurs recyclés. Il a ouvert la voie à une nouvelle génération de systèmes d'exploitation basés sur un navigateur, comme Google Chrome OS.
Jolibook

Le Jolibook a été le premier ordinateur personnel en nuage vendu en Europe, où il a précédé le premier Chromebook de Google. Lancé en édition limitée, il s'est vendu instantanément et est devenu un objet de collection. Engadget a classé le Jolibook parmi les cinq meilleurs netbooks de 2010.
Jolicloud Me

Jolicloud a introduit un Web OS deux ans avant que Google ne lance le Chromebook et a été le pionnier de la synchronisation en nuage des années avant qu'Apple ne permette aux appareils iOS de se synchroniser avec iCloud.
J'ai écrit une version plus détaillée de l'histoire de Jolicloud ici.

ISAI VC (2008)
Ma première expérience dans le monde du VC.
J'ai fait partie de l'équipe initiale qui a travaillé sur la première version du fonds d’investissement des entrepreneurs. La loi permettant sa création ayant été modifiée, le fond a changé son objectif pour se repositionner, avec succès sur des entreprises Tech plus "business centric" que "product centric" (qui était plus ma vocation).