Ces derniĂšres semaines, les initiatives sur la souverainetĂ© numĂ©rique et sur la rĂ©silience nâont cessĂ© dâĂ©clore, comme si tout devait ĂȘtre annoncĂ© avant les vacances. Comme beaucoup mâont interpellĂ© sur les similitudes (ici et ici) avec ce que je dis et Ă©cris depuis des annĂ©es, notamment dans cette newsletter, je me devais dâaborder le sujet.
En lisant les communiquĂ©s de toutes ces annonces sur la rĂ©silience numĂ©rique, jâai ressenti cette impression de voir les musiciens du Titanic sâaffronter pour la derniĂšre note, alors que le choc avec lâiceberg a dĂ©jĂ eu lieu.
Câest un peu le rĂŽle du Conseil de la RĂ©silience NumĂ©rique (CRN) et de cette newsletter que de prendre au sĂ©rieux la menace et de rĂ©flĂ©chir plus discrĂštement, mais aussi plus concrĂštement, Ă comment construire quelque chose dâutile.
La question de la rĂ©silience numĂ©rique est une question importante, cruciale mĂȘme : il ne sâagit pas juste dâoccuper lâespace mĂ©diatique, mais de rĂ©flĂ©chir Ă la survie rĂ©elle de nos entreprises ou de nos organisations, alors quâun choc gĂ©opolitique ou cyber majeur est dĂ©sormais inĂ©vitable.
Ce nâest donc plus un sujet thĂ©orique. Les choix qui vont ĂȘtre faits par les chefs dâentreprise, par les leaders des organisations et Ă©videmment par lâĂtat auront un impact colossal.
Leurs salariĂ©s sont dĂ©jĂ inquiets pour lâavenir de leur emploi, menacĂ© par lâIA, et cette surenchĂšre ne fait quâaugmenter inutilement la pression sur le leadership technologique des organisations, qui se voient jugĂ©es sur lâimpact et la qualitĂ© de leur travail par des gens sans aucune compĂ©tence technique.
Dans ce concours Ă la saucisse de celui qui sâaffiche le plus souverain, cela ajoute Ă cette inquiĂ©tude, et il y a quelque chose de presque malsain.
Car nous ne sommes plus dans la sĂ©quence des confĂ©rences et du blabla, mais au cĆur dâune prĂ©paration minutieuse et dâune mise en place de solutions concrĂštes.
Pourquoi jâai priorisĂ© la question de la rĂ©silience numĂ©rique
La souverainetĂ© numĂ©rique, câest ce quâil fallait faire il y a 20 ans. Aujourdâhui, la seule action qui nous reste, câest la rĂ©silience.

Je me rappellerai toujours des discussions avec un ancien patron de lâANSSI, un ancien conseiller du prĂ©sident de la RĂ©publique et un ancien haut gradĂ© du ComCyber : en France, en cas de coupure de lâInternet, il nây a pas de plan B.
Jâavais prĂ©sentĂ© en 2020, lors dâune confĂ©rence pour le ComCyber, un scĂ©nario de coupure ou de forte dĂ©gradation de lâaccĂšs Ă lâInternet, provoquĂ©e par la rupture soudaine de plusieurs cĂąbles sous-marins.
Ce nâĂ©tait quâun exemple parmi dâautres possibles : un retournement de marchĂ© qui obligerait certains acteurs Ă augmenter brutalement leurs prix, une tension sur les recrutements empĂȘchant les entreprises de rĂ©unir une Ă©quipe capable de rĂ©sister Ă une attaque cyber massive comme celle Ă laquelle lâUkraine fait face quotidiennement.
Face Ă la double disruption gĂ©opolitique et aux permacrises cyber, il faut en ajouter une troisiĂšme : la disruption amenĂ©e par lâIA, qui est en train de rendre caduque une Ă©norme partie de la valeur des entreprises, les obligeant Ă se recentrer sur leur compĂ©tence brute, la derniĂšre chose qui sera encore valorisĂ©e quand un rapport ou une analyse de haut niveau peuvent ĂȘtre gĂ©nĂ©rĂ©s en quelques secondes par ChatGPT.
Jamais dans lâhistoire, le cĆur dâactivitĂ©, la sĂ©curitĂ© et les opĂ©rations dâune entreprise nâont Ă©tĂ© menacĂ©s en mĂȘme temps par une recomposition des risques systĂ©miques.
Cette pĂ©riode est fascinante. Dâun cĂŽtĂ©, elle offre des perspectives incroyables, et de lâautre, elle remet en cause les Ă©quilibres qui font tenir notre sociĂ©tĂ©. Câest pour cela que jâai toujours prĂ©fĂ©rĂ© mâancrer dans le monde rĂ©el plutĂŽt que dans la bulle des rĂ©ceptions petits fours et des rĂ©unions interminables oĂč rien ne se dĂ©cide vraiment.

Quand je vois ceux Ă qui le gouvernement donne la parole sur ces questions, je vois surtout, Ă quelques exceptions prĂšs, une grosse sĂ©ance de rattrapage accĂ©lĂ©rĂ© plutĂŽt quâune maĂźtrise rĂ©elle des sujets.
Jâai toujours acceptĂ© lâidĂ©e quâil y avait un circuit dans le monde de la tech rĂ©servĂ© aux gens qui ne savent pas faire, mais qui aiment parler. Mais je trouve que le circuit des gens compĂ©tents et des builders nâa plus vraiment de visibilitĂ©. Et câest trĂšs inquiĂ©tant.
La question dĂ©sormais nâest pas de savoir si une crise majeure va arriver, mais quand
Si, sur la souveraineté numérique, je crois les gens plutÎt sincÚres dans leurs discours, sur la résilience numérique, leur opinion compte moins que leur expertise.
Câest de ce constat quâest nĂ©e lâidĂ©e du Conseil de la RĂ©silience NumĂ©rique.
En cas de crise majeure, la prioritĂ© sera de savoir qui appeler, et surtout dâidentifier clairement ceux qui ont les compĂ©tences nĂ©cessaires. Car, on lâa vu pendant la crise du Covid, malgrĂ© les dangers et les risques, le cirque mĂ©diatique ne se tait pas ; au contraire, il sâamplifie.
Jâai toujours Ă©tĂ© Ă la fois fascinĂ© et dĂ©goĂ»tĂ© par ceux qui, mĂȘme en pleine crise, sont prĂȘts Ă parier la survie de leur entreprise ou de leurs concitoyens sur des questions dâĂ©go ou dâĂ©lĂ©ments de langage.
En cas de crise, je connais personnellement une petite centaine de gens sur qui je sais que je pourrais compter. Et comme je sais que de nombreux lecteurs sont ou connaissent quelques-unes de ces personnes, lâobjectif du CRN, câest de rĂ©unir ceux qui pensent que si une crise majeure arrive, alors il faudra se serrer les coudes.
Si une majoritĂ© de gens pense les mĂȘmes choses, ce nâest pas un manque dâintelligence, mais bien un manque de diversitĂ© de sources dâinformation et dâaccĂšs Ă des rĂ©flexions qui sortent du prĂȘt-Ă -penser de la Tech française.
Câest ce que nous tentons de faire depuis presque deux ans avec Cybernetica et nos 6000 abonnĂ©s.
Le panier de crabes de la souveraineté numérique
Il y a vingt ans, nous étions une poignée.
Aujourdâhui, on ne compte plus les initiatives.
- Entre Eurostack 1 (celui dâorigine)
- Eurostack 2 (celui de ceux qui ont quitté le premier)
- les initiatives du Cigref, lâObservatoire de la souverainetĂ© numĂ©rique (celui du gouvernement)
- lâIndice de la rĂ©silience numĂ©rique (celui du think tank New Deal)
- le Comité Stratégique de FiliÚre « Logiciels et Solutions Numériques de Confiance »
- le Campus Cyber (qui joue désormais à fond la carte de la souveraineté numérique)
- Gaia-X (voulait déjà faire un sovereignty score il y a 4 ans !)
- la Direction du numĂ©rique (la Dinum) qui veut crĂ©er sa propre suite logicielle, contre les entreprises du secteur de la digital workplace souveraine qui ont elles-mĂȘmes montĂ© leur propre collectif de souverainetĂ© numĂ©rique
- sans oublier le projet des communs numĂ©riques, un faux-nez des grandes plateformes de la tech qui tente de se prĂ©senter comme lâavenir de la souverainetĂ© numĂ©rique.
Bon courage Ă celui qui cherche un peu de lisibilitĂ© dans ce grand plat de spaghettis, dâautant que pour avoir suivi et aidĂ© certaines initiatives, je ne suis pas certain de connaĂźtre les diffĂ©rences notables de positionnement entre toutes ces actions.
Pour moi, le sujet est ailleurs. La question en suspens est celle de la vision et des moyens.
Car si tout le monde est plus ou moins dâaccord sur le constat, câest dans lâexĂ©cution et les rĂ©ponses Ă apporter que les choses se compliquent.
Quand jâai Ă©crit Comment la France sâest vendue aux GAFAM en 2019 dans Le Point, lâarticle qui a contribuĂ© Ă remettre la question de la souverainetĂ© numĂ©rique au cĆur du dĂ©bat, je racontais la tragĂ©die du numĂ©rique français en trois actes.

Je ne mâimaginais pas encore Ă cette Ă©poque quâil y en aurait un quatriĂšme, un Ă©pilogue. Celui oĂč, Ă force de parler de souverainetĂ©, on en viderait le concept de toute substance.
De mon expĂ©rience en tant que vice-prĂ©sident du Conseil national du numĂ©rique, jâai Ă©videmment observĂ© de prĂšs lâinteraction entre le monde politique et la tech.
Cela mâa fait penser Ă une piĂšce de théùtre qui tente de se jouer et de se rejouer Ă lâinfini, avec des acteurs moins bons Ă chaque nouvelle reprĂ©sentation, et avec un discours dont la force de conviction sâefface avec le temps.

Personne ne doit ĂȘtre condamnĂ© Ă regarder ce spectacle se jouer et se rejouer. Il existe toujours un autre choix : celui de sortir de la salle et de rejoindre la vraie vie. Il y a un prix Ă payer : ne plus ĂȘtre invitĂ© dans ce théùtre. Mais faire partie dâune audience forcĂ©e nâa jamais Ă©tĂ© ma tasse de thĂ©.
Cybernetica et le Conseil de la Résilience ne sont pas pour moi des outils de pouvoir, mais des catalyseurs.
Ma quĂȘte personnelle, surtout aprĂšs le 13 novembre, dont nous allons fĂȘter les dix ans, câest lâenvie de vivre dans un monde numĂ©rique apaisĂ©, qui garde du sens. Un monde dans lequel les outils principaux, qui rythment notre vie, notre vie numĂ©rique personnelle, notre travail et les choses importantes de notre quotidien, puissent continuer Ă fonctionner tels quâils devraient lâĂȘtre.
Des outils qui, parce que nous nâavons pas su suffisamment convaincre du bien-fondĂ© de nous soutenir quinze ans plus tĂŽt, se trouvent dĂ©sormais Ă lâintĂ©rieur de nos tĂ©lĂ©phones et de nos ordinateurs, alignĂ©s sur des prioritĂ©s qui nous Ă©chappent.
La stack technologique nâest pas juste un mot, câest une liste de produits et de services qui dĂ©finissent sans nous la qualitĂ© de notre quotidien.
Alors, quand tout le monde parle de souverainetĂ© numĂ©rique, de rĂ©silience, jâai plutĂŽt envie de parler de qualitĂ© de la vie de tous les jours, et de nos valeurs que nous allons devoir prĂ©server coĂ»te que coĂ»te, malgrĂ© les crises, malgrĂ© les risques, et malgrĂ© lâinaction parfois de ceux qui sont censĂ©s les protĂ©ger.
Ce combat, nous le devons dâabord Ă nous-mĂȘmes, mais aussi Ă toute la gĂ©nĂ©ration qui arrive, qui devra vivre, si rien nâest fait, les consĂ©quences de nos non-choix, de nos renoncements, de notre paresse et donc de notre mĂ©diocritĂ©.
Comme je le disais dans ma premiĂšre newsletter : un autre web est possible.
Battons-nous pour le construire, le rendre plus agréable et le préserver.
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