🔮 La mise en spectacle de notre survie numĂ©rique

En lisant les communiquĂ©s de toutes ces annonces sur la rĂ©silience numĂ©rique, j’ai ressenti cette impression de voir les musiciens du Titanic s’affronter pour la derniĂšre note, alors que le choc avec l’iceberg a dĂ©jĂ  eu lieu.

🔮 La mise en spectacle de notre survie numĂ©rique
Les comédiens Lino Ventura, Paul Meurisse, Christian Barbier et Claude Mann sur le tournage de L'Armée des Ombres (1969) de Jean-Pierre Melville, adapté du roman de Joseph Kessel

Ces derniĂšres semaines, les initiatives sur la souverainetĂ© numĂ©rique et sur la rĂ©silience n’ont cessĂ© d’éclore, comme si tout devait ĂȘtre annoncĂ© avant les vacances. Comme beaucoup m’ont interpellĂ© sur les similitudes (ici et ici) avec ce que je dis et Ă©cris depuis des annĂ©es, notamment dans cette newsletter, je me devais d’aborder le sujet.

En lisant les communiquĂ©s de toutes ces annonces sur la rĂ©silience numĂ©rique, j’ai ressenti cette impression de voir les musiciens du Titanic s’affronter pour la derniĂšre note, alors que le choc avec l’iceberg a dĂ©jĂ  eu lieu.

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Avec cette question en suspens : pendant que ce petit monde veut briller, il n’y a personne pour chercher les canots.

C’est un peu le rĂŽle du Conseil de la RĂ©silience NumĂ©rique (CRN) et de cette newsletter que de prendre au sĂ©rieux la menace et de rĂ©flĂ©chir plus discrĂštement, mais aussi plus concrĂštement, Ă  comment construire quelque chose d’utile.

La question de la rĂ©silience numĂ©rique est une question importante, cruciale mĂȘme : il ne s’agit pas juste d’occuper l’espace mĂ©diatique, mais de rĂ©flĂ©chir Ă  la survie rĂ©elle de nos entreprises ou de nos organisations, alors qu’un choc gĂ©opolitique ou cyber majeur est dĂ©sormais inĂ©vitable.

Ce n’est donc plus un sujet thĂ©orique. Les choix qui vont ĂȘtre faits par les chefs d’entreprise, par les leaders des organisations et Ă©videmment par l’État auront un impact colossal.

Leurs salariĂ©s sont dĂ©jĂ  inquiets pour l’avenir de leur emploi, menacĂ© par l’IA, et cette surenchĂšre ne fait qu’augmenter inutilement la pression sur le leadership technologique des organisations, qui se voient jugĂ©es sur l’impact et la qualitĂ© de leur travail par des gens sans aucune compĂ©tence technique.

Dans ce concours Ă  la saucisse de celui qui s’affiche le plus souverain, cela ajoute Ă  cette inquiĂ©tude, et il y a quelque chose de presque malsain.

Car nous ne sommes plus dans la sĂ©quence des confĂ©rences et du blabla, mais au cƓur d’une prĂ©paration minutieuse et d’une mise en place de solutions concrĂštes.

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Dans la dĂ©cennie qui vient, il ne faut pas Ă©carter l’idĂ©e que des acteurs majeurs en France disparaissent parce qu’ils n’ont pas Ă©tĂ© suffisamment prĂ©parĂ©s au choc qui vient.

Pourquoi j’ai priorisĂ© la question de la rĂ©silience numĂ©rique

La souverainetĂ© numĂ©rique, c’est ce qu’il fallait faire il y a 20 ans. Aujourd’hui, la seule action qui nous reste, c’est la rĂ©silience.
« La souverainetĂ© numĂ©rique est morte... Vive la rĂ©silience ! Â»
TRIBUNE. Face Ă  la militarisation croissante de l’Internet, il est urgent d’investir dans la rĂ©silience de nos infrastructures numĂ©riques.

Je me rappellerai toujours des discussions avec un ancien patron de l’ANSSI, un ancien conseiller du prĂ©sident de la RĂ©publique et un ancien haut gradĂ© du ComCyber : en France, en cas de coupure de l’Internet, il n’y a pas de plan B.

J’avais prĂ©sentĂ© en 2020, lors d’une confĂ©rence pour le ComCyber, un scĂ©nario de coupure ou de forte dĂ©gradation de l’accĂšs Ă  l’Internet, provoquĂ©e par la rupture soudaine de plusieurs cĂąbles sous-marins.

Ce n’était qu’un exemple parmi d’autres possibles : un retournement de marchĂ© qui obligerait certains acteurs Ă  augmenter brutalement leurs prix, une tension sur les recrutements empĂȘchant les entreprises de rĂ©unir une Ă©quipe capable de rĂ©sister Ă  une attaque cyber massive comme celle Ă  laquelle l’Ukraine fait face quotidiennement.

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Ces causes de « crash » m’ont d’ailleurs valu, deux ans plus tard, un coup de fil de l’ÉlysĂ©e qui voulait utiliser mes slides pour un conseil de dĂ©fense. Ce que j’ignorais alors, c’est que l’un de mes scĂ©narios envisagĂ©s, la rupture de cĂąbles sous-marins, s’était concrĂ©tisĂ© avec la coupure d’une liaison entre l’Estonie et la Finlande. La guerre en Ukraine Ă©tait passĂ©e par lĂ .

Face Ă  la double disruption gĂ©opolitique et aux permacrises cyber, il faut en ajouter une troisiĂšme : la disruption amenĂ©e par l’IA, qui est en train de rendre caduque une Ă©norme partie de la valeur des entreprises, les obligeant Ă  se recentrer sur leur compĂ©tence brute, la derniĂšre chose qui sera encore valorisĂ©e quand un rapport ou une analyse de haut niveau peuvent ĂȘtre gĂ©nĂ©rĂ©s en quelques secondes par ChatGPT.

Jamais dans l’histoire, le cƓur d’activitĂ©, la sĂ©curitĂ© et les opĂ©rations d’une entreprise n’ont Ă©tĂ© menacĂ©s en mĂȘme temps par une recomposition des risques systĂ©miques.

Cette pĂ©riode est fascinante. D’un cĂŽtĂ©, elle offre des perspectives incroyables, et de l’autre, elle remet en cause les Ă©quilibres qui font tenir notre sociĂ©tĂ©. C’est pour cela que j’ai toujours prĂ©fĂ©rĂ© m’ancrer dans le monde rĂ©el plutĂŽt que dans la bulle des rĂ©ceptions petits fours et des rĂ©unions interminables oĂč rien ne se dĂ©cide vraiment.

Quand je vois ceux Ă  qui le gouvernement donne la parole sur ces questions, je vois surtout, Ă  quelques exceptions prĂšs, une grosse sĂ©ance de rattrapage accĂ©lĂ©rĂ© plutĂŽt qu’une maĂźtrise rĂ©elle des sujets.

J’ai toujours acceptĂ© l’idĂ©e qu’il y avait un circuit dans le monde de la tech rĂ©servĂ© aux gens qui ne savent pas faire, mais qui aiment parler. Mais je trouve que le circuit des gens compĂ©tents et des builders n’a plus vraiment de visibilitĂ©. Et c’est trĂšs inquiĂ©tant.

La question dĂ©sormais n’est pas de savoir si une crise majeure va arriver, mais quand

Si, sur la souveraineté numérique, je crois les gens plutÎt sincÚres dans leurs discours, sur la résilience numérique, leur opinion compte moins que leur expertise.

C’est de ce constat qu’est nĂ©e l’idĂ©e du Conseil de la RĂ©silience NumĂ©rique.

En cas de crise majeure, la prioritĂ© sera de savoir qui appeler, et surtout d’identifier clairement ceux qui ont les compĂ©tences nĂ©cessaires. Car, on l’a vu pendant la crise du Covid, malgrĂ© les dangers et les risques, le cirque mĂ©diatique ne se tait pas ; au contraire, il s’amplifie.

J’ai toujours Ă©tĂ© Ă  la fois fascinĂ© et dĂ©goĂ»tĂ© par ceux qui, mĂȘme en pleine crise, sont prĂȘts Ă  parier la survie de leur entreprise ou de leurs concitoyens sur des questions d’égo ou d’élĂ©ments de langage.

En cas de crise, je connais personnellement une petite centaine de gens sur qui je sais que je pourrais compter. Et comme je sais que de nombreux lecteurs sont ou connaissent quelques-unes de ces personnes, l’objectif du CRN, c’est de rĂ©unir ceux qui pensent que si une crise majeure arrive, alors il faudra se serrer les coudes.

Si une majoritĂ© de gens pense les mĂȘmes choses, ce n’est pas un manque d’intelligence, mais bien un manque de diversitĂ© de sources d’information et d’accĂšs Ă  des rĂ©flexions qui sortent du prĂȘt-Ă -penser de la Tech française.

C’est ce que nous tentons de faire depuis presque deux ans avec Cybernetica et nos 6000 abonnĂ©s.

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En plus du channel Whatsapp oĂč je partage ma veille pour les abonnĂ©s payants, nous prĂ©parons aussi un canal dĂ©diĂ© sur Signal et des mini-confĂ©rences oĂč nous mettrons en avant quelques spĂ©cialistes de ces questions, exclusivement pour nos membres.

Le panier de crabes de la souveraineté numérique

Il y a vingt ans, nous étions une poignée.

Aujourd’hui, on ne compte plus les initiatives.

  • Entre Eurostack 1 (celui d’origine)
  • Eurostack 2 (celui de ceux qui ont quittĂ© le premier)
  • les initiatives du Cigref, l’Observatoire de la souverainetĂ© numĂ©rique (celui du gouvernement)
  • l’Indice de la rĂ©silience numĂ©rique (celui du think tank New Deal)
  • le ComitĂ© StratĂ©gique de FiliĂšre « Logiciels et Solutions NumĂ©riques de Confiance »
  • le Campus Cyber (qui joue dĂ©sormais Ă  fond la carte de la souverainetĂ© numĂ©rique)
  • Gaia-X (voulait dĂ©jĂ  faire un sovereignty score il y a 4 ans !)
  • la Direction du numĂ©rique (la Dinum) qui veut crĂ©er sa propre suite logicielle, contre les entreprises du secteur de la digital workplace souveraine qui ont elles-mĂȘmes montĂ© leur propre collectif de souverainetĂ© numĂ©rique
  • sans oublier le projet des communs numĂ©riques, un faux-nez des grandes plateformes de la tech qui tente de se prĂ©senter comme l’avenir de la souverainetĂ© numĂ©rique.

Bon courage Ă  celui qui cherche un peu de lisibilitĂ© dans ce grand plat de spaghettis, d’autant que pour avoir suivi et aidĂ© certaines initiatives, je ne suis pas certain de connaĂźtre les diffĂ©rences notables de positionnement entre toutes ces actions.

Pour moi, le sujet est ailleurs. La question en suspens est celle de la vision et des moyens.

Car si tout le monde est plus ou moins d’accord sur le constat, c’est dans l’exĂ©cution et les rĂ©ponses Ă  apporter que les choses se compliquent.

Quand j’ai Ă©crit Comment la France s’est vendue aux GAFAM en 2019 dans Le Point, l’article qui a contribuĂ© Ă  remettre la question de la souverainetĂ© numĂ©rique au cƓur du dĂ©bat, je racontais la tragĂ©die du numĂ©rique français en trois actes.

TRIBUNE. Comment la France s’est vendue aux Gafam
Pour le pionnier du Web français Tariq Krim, l’histoire du dĂ©clin du numĂ©rique français est une tragĂ©die en 3 actes. Il existe pourtant une sortie de crise.

Je ne m’imaginais pas encore Ă  cette Ă©poque qu’il y en aurait un quatriĂšme, un Ă©pilogue. Celui oĂč, Ă  force de parler de souverainetĂ©, on en viderait le concept de toute substance.

De mon expĂ©rience en tant que vice-prĂ©sident du Conseil national du numĂ©rique, j’ai Ă©videmment observĂ© de prĂšs l’interaction entre le monde politique et la tech.

Cela m’a fait penser Ă  une piĂšce de théùtre qui tente de se jouer et de se rejouer Ă  l’infini, avec des acteurs moins bons Ă  chaque nouvelle reprĂ©sentation, et avec un discours dont la force de conviction s’efface avec le temps.

Personne ne doit ĂȘtre condamnĂ© Ă  regarder ce spectacle se jouer et se rejouer. Il existe toujours un autre choix : celui de sortir de la salle et de rejoindre la vraie vie. Il y a un prix Ă  payer : ne plus ĂȘtre invitĂ© dans ce théùtre. Mais faire partie d’une audience forcĂ©e n’a jamais Ă©tĂ© ma tasse de thĂ©.

Cybernetica et le Conseil de la Résilience ne sont pas pour moi des outils de pouvoir, mais des catalyseurs.

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Je ne recherche pas la lumiĂšre ni la notoriĂ©tĂ© que j’ai dĂ©jĂ  eues largement au-delĂ  de mes espĂ©rances dans la Silicon Valley et en Europe il y a vingt ans avec Netvibes.

Ma quĂȘte personnelle, surtout aprĂšs le 13 novembre, dont nous allons fĂȘter les dix ans, c’est l’envie de vivre dans un monde numĂ©rique apaisĂ©, qui garde du sens. Un monde dans lequel les outils principaux, qui rythment notre vie, notre vie numĂ©rique personnelle, notre travail et les choses importantes de notre quotidien, puissent continuer Ă  fonctionner tels qu’ils devraient l’ĂȘtre.

Des outils qui, parce que nous n’avons pas su suffisamment convaincre du bien-fondĂ© de nous soutenir quinze ans plus tĂŽt, se trouvent dĂ©sormais Ă  l’intĂ©rieur de nos tĂ©lĂ©phones et de nos ordinateurs, alignĂ©s sur des prioritĂ©s qui nous Ă©chappent.

La stack technologique n’est pas juste un mot, c’est une liste de produits et de services qui dĂ©finissent sans nous la qualitĂ© de notre quotidien.

Alors, quand tout le monde parle de souverainetĂ© numĂ©rique, de rĂ©silience, j’ai plutĂŽt envie de parler de qualitĂ© de la vie de tous les jours, et de nos valeurs que nous allons devoir prĂ©server coĂ»te que coĂ»te, malgrĂ© les crises, malgrĂ© les risques, et malgrĂ© l’inaction parfois de ceux qui sont censĂ©s les protĂ©ger.

Ce combat, nous le devons d’abord Ă  nous-mĂȘmes, mais aussi Ă  toute la gĂ©nĂ©ration qui arrive, qui devra vivre, si rien n’est fait, les consĂ©quences de nos non-choix, de nos renoncements, de notre paresse et donc de notre mĂ©diocritĂ©.

Comme je le disais dans ma premiĂšre newsletter : un autre web est possible.

Battons-nous pour le construire, le rendre plus agréable et le préserver.

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