🔮 Il y a 20 ans naissait Netvibes

Vingt ans plus tard, j’oscille encore entre le sentiment d’avoir créé quelque chose d’unique en France et la tristesse de n’avoir pas pu aller jusqu’au bout de ma vision. Netvibes, dĂ©branchĂ© quelques mois avant son vingtiĂšme anniversaire, comptait encore des utilisateurs fidĂšles.

🔮 Il y a 20 ans naissait Netvibes

En sortant d’un cafĂ©, je suis tombĂ© sur un lecteur de Cybernetica qui m’avouait avoir Ă©tĂ© un utilisateur quotidien depuis la crĂ©ation. Au fil de notre conversation, il m’a convaincu d’écrire Ă  ce sujet pour l’anniversaire d’un produit dont je n’imaginais pas une carriĂšre aussi longue.

La derniÚre conférence que j'ai fait en tant que CEO de netvibes en 2008


memory lane

Le 15 septembre 2005, depuis un café parisien, je lançais la toute premiÚre version de netvibes. Lancer un produit web en anglais était quelque chose de nouveau. TrÚs rapidement, le site intrigue TechCrunch, qui nous propose rapidement de venir à leur barbecue à Atherton dans la Silicon Valley. Mike tombe de sa chaise quand je lui dis que je suis basé à Paris.

Ce sera le dĂ©but d’une aventure complĂštement folle qui va bousculer tous les codes de la crĂ©ation de start-up en France. Équipe internationale, communication exclusivement en anglais, et cerise sur le gĂąteau : Ă  part un business angel, aucun de nos investisseurs n’est français. Mais le plus important, c’est que netvibes propose un produit qui n’existait nulle part ailleurs, ce que la VallĂ©e appelle crĂ©er une nouvelle catĂ©gorie de produits consumers (la voie royale de la tech).

Vingt ans aprĂšs, elle garde ce statut Ă  part qui l’empĂȘche d’entrer dans une des cases bien polissĂ©es de la tech française.

L’idĂ©e de Netvibes Ă©tait trĂšs simple. Je me retrouvais face Ă  une explosion des flux d’informations dont j’étais friand pour mon propre blog et je n’arrivais plus Ă  suivre. D’oĂč l’idĂ©e de construire une page de dĂ©marrage sur le navigateur pour centraliser et accĂ©der facilement aux informations pertinentes.

La page de dĂ©marrage (start page) a Ă©tĂ© inventĂ©e par Netscape en 1995 pour aider les gens Ă  savoir oĂč naviguer sur le net. Mais cette page Ă©tait exactement la mĂȘme pour tous.

Netvibes a lancĂ© la premiĂšre page d’accueil personnalisable par chaque utilisateur, trĂšs simple Ă  configurer. Il s’agissait de permettre aux utilisateurs de choisir prĂ©cisĂ©ment ce qu’ils voulaient et de leur donner un contrĂŽle total de leur environnement. Chaque utilisateur avait une page diffĂ©rente et unique.

Tout est allĂ© trĂšs vite, quelques jours aprĂšs le lancement (j’avais enregistrĂ© le nom lorsque j’habitais Ă  San Francisco en me promettant de ne l’utiliser qu’un jour si j’avais un projet sympa), je reçois un appel sur mon mobile. C’était le patron d’une des plus grandes entreprises de mĂ©dias au monde, qui me disait qu’il trouvait le produit cool et qu’il me proposait un million de dollars pour l’acheter. Quelques jours avant, j’avais reçu un email de Marc Andreessen qui voulait investir (il sera notre premier business angel).

C’est peut-ĂȘtre Ă  ce moment-lĂ  que je comprends vraiment ce qu’est ĂȘtre entrepreneur. Je dĂ©cline l’offre et lui propose plutĂŽt de crĂ©er deux widgets pour deux de ses chaĂźnes tĂ©lĂ©, puisqu’elles disposent dĂ©jĂ  d’un flux RSS. Il me rĂ©pond par un mail enthousiaste et souhaite me rencontrer dĂšs mon passage Ă  Los Angeles. Il en parle ensuite au patron de Disney qui, depuis sa voiture, m’appelle pour me demander la mĂȘme chose aprĂšs avoir vu les widgets de son concurrent.

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PS : je n’ai jamais rencontrĂ© le patron de TF1.

Je dois trouver un serveur pour absorber une capacitĂ© dĂ©jĂ  saturĂ©e et rassembler une Ă©quipe capable de concrĂ©tiser les projets ambitieux que j’ai en tĂȘte.
En quelques mois, la base de Netvibes sera posĂ©e grĂące Ă  une Ă©quipe de pionniers remarquables, recrutĂ©s Ă  travers toute l’Europe, qui donnera au produit son identitĂ© unique.

la premiĂšre version de netvibes


En configurant des widgets Ă  l’architecture modulaire, les utilisateurs pouvaient commencer leur journĂ©e sur une seule page regroupant toutes leurs actualitĂ©s et des informations pratiques comme la mĂ©tĂ©o.

Mais le super pouvoir de Netvibes, c’était le focus : choisir ce qui comptait vraiment pour soi au milieu d’un bruit informationnel permanent. Aucun algorithme, aucun dark pattern, aucun contenu imposĂ© et un design neutre. Il n’était mĂȘme pas nĂ©cessaire de crĂ©er un compte, sauf pour sauvegarder sa page et y accĂ©der depuis un autre navigateur.

Et trĂšs rapidement, nous avons ajoutĂ© les notes, les to-do lists, l’aperçu des derniers emails et, plus tard, le widget Facebook. On pouvait alors condenser toute sa vie numĂ©rique de l’époque sur une seule page.

MĂȘme si c’est un peu ce qu’on retrouve aujourd’hui sur l’iPhone, l’idĂ©e de rendre Ă  l’utilisateur le contrĂŽle total de sa vie numĂ©rique Ă©tait addictive. Google et Microsoft avaient leur propre « Netvibes », mais centrĂ© sur leurs services. Pendant ce temps, Netvibes se diffusait viralement aux États-Unis.

Au sommet de notre gloire, nous Ă©tions devenus la troisiĂšme page d’accueil personnalisĂ©e aux États-Unis, derriĂšre Yahoo et Google mais devant Microsoft et AOL, un accomplissement dont nous n’avons pas toujours pleinement mesurĂ© l’importance en interne.
Il faut rappeler qu’à l’époque, Chrome n’existait pas encore et que Google ne bĂ©nĂ©ficiait pas des synergies avec son propre navigateur. Il Ă©tait encore possible de se faire une place entre leurs parts de marchĂ©.

CrĂ©er quelque chose d’entiĂšrement nouveau a beaucoup plu. Nos utilisateurs du monde entier mĂ©ritaient d’avoir une version adaptĂ©e Ă  leur pays et, Ă  l’époque, nous avons lancĂ© une initiative jamais tentĂ©e auparavant : un site collaboratif de traduction de Netvibes qui nous a permis d’ouvrir dans toutes les langues. Le corse, par exemple, me rappelle souvent un ami qui en avait fiĂšrement assurĂ© la traduction.

Notre rupture avec les conventions de ce que devait ĂȘtre une start-up a suscitĂ© beaucoup d’intĂ©rĂȘt aux États-Unis. En France, je m’efforçais d’insuffler dans Netvibes une vision proche de celle que j’avais apprise Ă  Mountain View, avec un twist de produit et de design trĂšs parisien, et une volontĂ© d’embrasser le monde dans sa totalitĂ© et sa diversitĂ©. Je croyais que chacun a son propre chemin culturel et informationnel Ă  cultiver et que la personnalisation constituait la valeur Ă  long terme du produit.

DĂšs sa crĂ©ation, Netvibes est devenu l’épicentre des Ă©changes entre Paris et la Silicon Valley. J’invitais mes amis de la VallĂ©e en marge du Web, la confĂ©rence parisienne, de Michael Arrington, le crĂ©ateur de TechCrunch, Ă  Jason Calacanis, qui anime aujourd’hui le podcast All-In. Et, en retour, ils me le rendaient bien.

Une reconnaissance internationale

Netvibes a Ă©tĂ© la premiĂšre start-up française de produit Ă  ĂȘtre vĂ©ritablement encensĂ©e dans la Silicon Valley : de TechCrunch au MIT, Ă  la ConfĂ©rence Web 2.0, Ă  mon profil dans Business 2, jusqu’à la rubrique Personal Tech du Wall Street Journal, qui Ă©crivait que nous avions un meilleur produit que Yahoo!, et mĂȘme Ă  la une du Guardian.

La fameuse couv du Gardian sur le Web 2.0 Ă  San Francisco

J’ai rĂ©cemment retrouvĂ©, dans les archives de ma mĂšre, une liste impressionnante de prix et d’articles que j’avais oubliĂ©s. Nous avons rĂ©ellement bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une couverture presse exceptionnelle.

Cette couverture, on la doit beaucoup Ă  Vincent, qui s’occupait de nos relations presse et qui nous a permis de sĂ©duire la Silicon Valley sans perdre notre Ăąme europĂ©enne et parisienne (au bon sens du terme).

Avec le recul, ma plus grande rĂ©ussite est d’avoir Ă©tĂ© adoubĂ© comme une vĂ©ritable start-up de produits dans la Silicon Valley. Je me rappelle ma premiĂšre rencontre avec Mark Zuckerberg : en m’invitant Ă  son bureau, il m’a montrĂ© son navigateur et, sur l’un des onglets, figurait sa page Netvibes.

Un peu plus tard, avec ses Ă©quipes, nous avons dĂ©veloppĂ© le premier widget basĂ© sur une Ă©bauche initiale de Facebook Connect. Ce moment reste un souvenir amer, car il me rappelle que Facebook nous avait proposĂ© en avant-premiĂšre d’ĂȘtre prĂ©sents sur leur plateforme.

Pour des raisons qui me restent encore en travers de la gorge, l’un de mes investisseurs et une partie de mon Ă©quipe commerciale, uniquement focalisĂ©s sur leurs bonus liĂ©s aux versions en marque blanche, ont complĂštement « undermined » le projet et, au final, nous n’avons pas Ă©tĂ© inclus dans les discussions finales.

L’un d’eux m’a mĂȘme confiĂ© qu’ils ne croyaient pas au succĂšs de Facebook et que mon idĂ©e de l’utiliser comme outil de viralitĂ© (je voulais que les utilisateurs partagent leurs liens sur le newsfeed pour faire connaĂźtre un article Ă  leurs amis et, en mĂȘme temps, construire la marque) ne marcherait jamais !

J’ai retenu la leçon : j’aurais dĂ» m’installer directement dans la Silicon Valley plutĂŽt que de faire confiance Ă  une Ă©quipe commerciale qui n’avait aucune intention de suivre mes recommandations et qui me filtrait les informations. J’aurais aussi dĂ» nommer un directeur produit pour encadrer l’équipe en France et consacrer davantage de temps aux acteurs dĂ©tenant les clĂ©s de notre croissance.

Car, en plus des rĂ©seaux sociaux, nous avons ratĂ© la rĂ©volution du mobile. Et pourtant, grĂące Ă  mes amis d’Engadget, je me suis retrouvĂ© Ă  ĂȘtre la quatriĂšme personne au monde Ă  acheter un iPhone.

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lancement de l'iphone 2007 Apple Store de San francisco

Cette vidéo, filmée sur un Blackberry à l'Apple Store de SF, avait été ouverte quelques minutes avant le lancement officiel pour la presse.

Je me souviens ĂȘtre rentrĂ© immĂ©diatement Ă  mon hĂŽtel et, aprĂšs avoir enfin pu activer l’iPhone avec une carte bleue française, avoir allumĂ© le tĂ©lĂ©phone. L’évidence s’imposait : nous devions ĂȘtre prĂ©sents sur cet appareil. J’appelle mon designer, malgrĂ© l’heure tardive, et en quelques jours nous mettons en place un prototype mobile web.

Mais Ă  l’époque, nous aurions dĂ» approcher Apple et nous positionner sur leur plateforme mobile en prĂ©paration. Quelques jours plus tard, j’étais pourtant dĂ©jĂ  de retour Ă  Paris, engluĂ© dans la politique interne d’une start-up qui n’aurait jamais dĂ» en avoir. Impossible de lancer ce projet.

C’est là que j’ai compris l’une des rùgles essentielles de la technologie, que je rappelle souvent à tout entrepreneur qui lance sa start-up sur un segment nouveau.
Il y a d’abord la disruption initiale sur laquelle on bĂątit, puis vient la disruption dans la disruption. La premiĂšre, c’était le web 2.0, et nous avions pris le train en tĂȘte. La deuxiĂšme fut celle des rĂ©seaux sociaux, qui allaient transformer la dynamique de croissance (share) et, Ă  terme, remplacer les flux (newsfeed). La troisiĂšme, c’était le mobile, qui allait bouleverser les habitudes de consommation. Ne pas ĂȘtre prĂ©sent sur ce support avec une application de qualitĂ© signifiait laisser l’espace Ă  quelqu’un d’autre.

Faire du B2C, c’est accepter de changer et de pivoter pour exister lĂ  oĂč se trouvent les utilisateurs, avec les produits dont ils auront besoin. Impossible de se satisfaire du statu quo. Il faut donc s’entourer de personnes qui comprennent vraiment cette exigence.

Mon intuition, Ă  l’époque, Ă©tait la bonne, mais l’un de mes investisseurs et une partie de l’équipe dirigeante ne la partageaient pas. Mes choix Ă©taient de plus en plus contestĂ©s pour des raisons tactiques. L’objectif de l’un de mes business angels Ă©tait de prendre ma place ou de crĂ©er suffisamment de drame interne pour que mes investisseurs acceptent de fusionner ma sociĂ©tĂ© avec la sienne.

Avec le recul, les choses Ă©taient claires : une tentative de prise de pouvoir. Je n’ai pas compris tout de suite pourquoi. J’ai seulement vu un espace de crĂ©ation pure et de bonnes volontĂ©s se transformer en un lieu toxique, marquĂ© par les calculs politiques et les manipulations. Il Ă©tait difficile de lutter Ă  la fois contre la concurrence externe et les rivalitĂ©s internes. Je n’avais jamais vu autant d’ego, de mauvaise foi et de manipulation. Et je n’ai pas rĂ©ussi Ă  protĂ©ger l’équipe qui voulait continuer Ă  innover.

Jamie Zawinski, qui fut l'un des premiers ingénieurs de Netscape en 1994, le résume mieux que moi cette situation :


« Le problÚme, et la raison pour laquelle j'ai quitté Netscape, c'est que l'entreprise est passée d'un lieu rempli de gens qui voulaient construire une grande entreprise à un lieu rempli de gens qui voulaient simplement travailler dans une grande entreprise. La seconde culture a gagné. »

Et Ă  un moment, la mort dans l’ñme, j’ai dĂ» faire de mĂȘme. Je suis parti trois ans aprĂšs avoir créé Netvibes.

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Dans Anything You Want (2011), Derek Sivers dĂ©crit une entreprise comme une « utopie » que l’on construit avec ses Ă©quipes. Selon lui, une sociĂ©tĂ© naĂźt d’une idĂ©e idĂ©ale partagĂ©e, façonnĂ©e par des personnes passionnĂ©es qui collaborent pour concrĂ©tiser cette vision. Cette mĂ©taphore souligne que l’énergie initiale d’une start-up vient moins des structures ou du financement que d’un esprit collectif et d’une culture commune, fragile et prĂ©cieuse.

J’avais le sentiment d’avoir Ă©chouĂ©. J’ai pris sur moi et ignorĂ© les rumeurs qui ont suivi mon dĂ©part, certaines ayant mĂȘme Ă©tĂ© lancĂ©es par des employĂ©s dont j’avais matĂ©riellement et socialement changĂ© la vie. Je me suis dit qu’il me restait encore beaucoup Ă  apprendre de la nature humaine.

Et puis, un jour, endormi sur le siÚge arriÚre d'une voiture qui roulait de San Francisco à Los Angeles, j'ai eu l'idée de ma prochaine boßte.

How we invented the «Chromebook» 2 years before Google by accident
8 years ago, a team without any hardware experience built and launched the Jolibook, the first and last independent computer designed for


Fallait-il créer Netvibes en France ?

Un des grands apports de Netvibes, c’est que, pendant un temps, nous avions mis la France sur la carte de l’innovation. Je me rappelle cette interview de Fox qui parlait de Netvibes de maniĂšre dithyrambique et disait : « C’est incroyable, cette sociĂ©tĂ© vient de France. »

Pour beaucoup de gens, notamment aux États-Unis, c’était complĂštement anachronique. Une entreprise capable de produire un produit d’une telle qualitĂ© Ă  l’époque, et en plus aussi « cool », ne pouvait pas, dans leur esprit, ĂȘtre française.

Le web 2.0, pour l’Europe, a Ă©tĂ© une phase de crĂ©ation incroyable, mais il n’y avait absolument aucun soutien. En France, Ă  aucun moment, nous n’avons Ă©tĂ© Ă©paulĂ©s par les diffĂ©rents gouvernements.

Nous avons Ă©tĂ© beaucoup copiĂ©s par les trĂšs gros acteurs, qui ont tous commencĂ© Ă  s’inspirer de nos widgets et de nos designs, mais aussi en Chine, oĂč il y a eu vingt-cinq versions de Netvibes dont certaines n’avaient mĂȘme pas pris la peine de changer le JavaScript qu’elles avaient copiĂ©. MĂȘme Orange, au lieu de nous soutenir, avait choisi de produire une pĂąle copie de notre service aprĂšs un rendez-vous avec leurs Ă©quipes. Parfois, je me dis que les rĂšgles sont plus dures, mais aussi plus fair, dans la Silicon Valley.

J’entretiens une relation ambivalente avec cela. GrĂące Ă  notre audience mondiale, nous bĂ©nĂ©ficions du meilleur des deux mondes : Paris et San Francisco.

  • À San Francisco, on nous adorait (surtout depuis notre soirĂ©e lĂ©gendaire Ă  la confĂ©rence Web 2.0), mais j’ai toujours eu le sentiment que Netvibes n’avait jamais vraiment Ă©tĂ© acceptĂ© dans l’écosystĂšme traditionnel de la tech française.
  • Nous avions cassĂ© les codes de l’époque, et cela ne plaisait pas Ă  tout le monde. Un VC parisien trĂšs connu a passĂ© son temps Ă  raconter, dans tous les dĂźners en ville, que c’était le chaos chez nous et que nous allions droit dans le mur. J’avais du mal Ă  comprendre pourquoi tant de haine.
  • En quelques annĂ©es, j’ai accumulĂ© une expĂ©rience prĂ©cieuse sur ce qui fonctionne — et ne fonctionne pas — dans l’écosystĂšme français : les piĂšges des associations avec certains business angels, l’importance cruciale du choix de l’équipe de direction, la structuration du dĂ©veloppement produit en contexte international. J’apprenais sur le tas et, s’il y avait beaucoup de gens pour me donner leur avis, peu avaient vraiment l’expĂ©rience internationale et produit.

Mais quelques annĂ©es plus tard, l’un des grands patrons amĂ©ricains d’un fonds qui avait investi chez nous m’a confiĂ© en apartĂ© : « We failed you. I should have spent more time to help. » Je l’ai remerciĂ©, tout en sachant qu’il Ă©tait absorbĂ© par la croissance fulgurante de Facebook.

Ben Horowitz m’avait dit un jour que le rĂŽle d’un VC n’était pas de remplacer un fondateur, mais de l’entourer pour lui permettre d’amplifier le moment oĂč il est au sommet de son art.

Et c’est exactement l’impression que j’ai eue, malgrĂ© les remous internes, l’espace d’un instant.

Au sommet de son art, mĂȘme l'espace d'un instant

Netvibes a reçu l’un des prix les plus prestigieux de la tech, les Crunchies Awards, en remportant la catĂ©gorie start-up internationale.

🏆
Curieusement, ma deuxiĂšme start-up, Jolicloud, a Ă©galement Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©e plus tard. Nous avons perdu face Ă  Spotify, ce qui Ă©tait Ă©videmment mĂ©ritĂ© 😄.

Les Crunchies Ă©taient considĂ©rĂ©s comme les Oscars du web, et le fait qu’un projet nĂ© dans un cafĂ© parisien soit rĂ©compensĂ© et cĂ©lĂ©brĂ© par toute la Silicon Valley a Ă©tĂ© un grand moment de fiertĂ©. Pendant un temps, nous avons Ă©tĂ© au sommet de notre art. Les dirigeants de Google, Yahoo, Apple et Facebook regardaient ce que nous faisions avec envie. Un sentiment vertigineux.

Puis, comme pour tout le monde, le monde a tournĂ© et on est passĂ© Ă  autre chose. Mon ami Dave Morin l’avait parfaitement rĂ©sumĂ© : dĂšs l’arrivĂ©e de l’iPhone, le nouvel art de rĂ©ussir est devenu celui des apps natives, dont le modĂšle et le design n’avaient rien Ă  voir avec ce que nous avions appris sur le web.

Vingt ans plus tard, l’hĂ©ritage de Netvibes vit dans les entreprises fondĂ©es par d’anciens collaborateurs et dans les inspirations qu’elle a suscitĂ©es. Mais elle n’est presque plus citĂ©e par la presse ou par les politiques. C’est d’ailleurs vrai pour toute cette Ă©poque incroyable.

J’ai souvent trouvĂ© dommage que l’histoire des pionniers du web français et la contribution de Netvibes et Jolicloud dans la bataille pour Ă©viter que le monde numĂ©rique ne soit dominĂ© uniquement par quelques entreprises de la Silicon Valley ne soient pas davantage mises en avant dans le narratif de la French Tech. Ces expĂ©riences, mĂȘme imparfaites, recĂšlent pourtant des leçons prĂ©cieuses pour les nouvelles gĂ©nĂ©rations d’entrepreneurs.

Quand je suis dans la Silicon Valley, ce qui me frappe, c’est que l’histoire de la tech, avec ses succĂšs, ses Ă©checs et ses demi-succĂšs (je considĂšre Netvibes comme un demi-succĂšs, et je garde surtout la curiositĂ© de savoir ce qui se serait passĂ© si nous Ă©tions allĂ©s jusqu’au bout de la vision que j’avais), reste essentielle pour comprendre le monde de la tech.

On ne peut pas comprendre l’iPhone sans connaĂźtre General Magic, Palm Pilot, Go Corporation et des dizaines de sociĂ©tĂ©s qui ont Ă©chouĂ©. D’ailleurs, mon livre prĂ©fĂ©rĂ© Ă  l’époque sur les start-up Ă©tait Startup de Jerry Kaplan. L’échec de son projet, qui visait Ă  crĂ©er l’une des premiĂšres tablettes au monde, expliquait parfaitement pourquoi.

Ce qui est un Ă©chec Ă  un moment donnĂ© peut devenir un succĂšs plus tard. Une partie des Ă©quipes de General Magic a contribuĂ© Ă  la crĂ©ation de l’iPhone. De nombreux participants Ă  des projets avortĂ©s ont ensuite conçu, en interne chez Google, Facebook et d’autres, de nouveaux produits.

Quels enseignements ?

Netvibes m’a appris plusieurs choses.

  • Tout d’abord, dĂ©velopper un produit B2C Ă  vocation mondiale depuis la France reste un dĂ©fi, mĂȘme si l’écosystĂšme français a beaucoup Ă©voluĂ© en vingt ans.

En France, chaque fois que l’on parle de crĂ©er le prochain Google, le nouveau Facebook ou le futur OpenAI, cela finit presque toujours par devenir du service ou du B2B. C’est l’ADN de la tech française.

Avec l’IA, nous avons pourtant une nouvelle occasion de concevoir des produits globaux en utilisant notre diffĂ©rence culturelle europĂ©enne comme avantage compĂ©titif.
Il y a eu quelques succĂšs : Zenly, Sparrow, Sunrise, mĂȘme si Sunrise, dĂ©veloppĂ© par plusieurs de mes anciens ingĂ©nieurs de Jolicloud, a Ă©tĂ© créé aux États-Unis.

J’ai Ă©coutĂ©, comme beaucoup de gens, le discours d’Arthur Mensch de Mistral AI dans l’émission Quotidien. Arthur a Ă©tĂ© trĂšs clair en expliquant que Mistral devenait une entreprise technologique B2B et de services. J’aurais aimĂ© les voir suivre les traces de Netvibes et partir Ă  l’assaut des consommateurs. Mais c’est Claude et deepseek qui jouent aujourd’hui le rĂŽle de challenger de ChatGPT.

  • L’autre chose, c’est que le monde n’est jamais statique. La question Ă  se poser est de savoir quel est le bon cycle pour repartir.

C’est ce que j’ai appris avec Jolicloud, ma start-up suivante.

Ce qu’il y a de nouveau dans le monde dans lequel nous vivons, c’est que la gĂ©opolitique et la recomposition de la tech chinoise autour des LLM open source offrent une opportunitĂ© incroyable Ă  l’Europe. J’adore Ă©voquer, dans mes confĂ©rences, l’innovation par divergence et c’est peut-ĂȘtre le moment de la tenter.

Car l’IA est une rĂ©volution technoculturelle et l’Europe a forcĂ©ment quelque chose de diffĂ©rent Ă  offrir.

Construire pour le nouvel internet

Aujourd’hui, nous sommes plongĂ©s au cƓur d’un choc thermique entre un monde dĂ©terministe (le logiciel d’hier) et un monde non dĂ©terministe (les LLM et les espaces latents).

C’est donc le moment idĂ©al pour rĂ©flĂ©chir et inventer de nouvelles choses.

C’est ce que je fais avec mon nouveau projet Earth is a Beta Test, lancĂ© ce 15 septembre, comme l’avaient Ă©tĂ© Netvibes et Jolicloud.

J’aime l’idĂ©e d’opĂ©rer Ă  la frontiĂšre entre le monde dĂ©terministe et le monde non dĂ©terministe, et d’imaginer les couches manquantes entre les deux. J’ai manquĂ© le virage du mobile parce que je n’aimais pas l’idĂ©e de dĂ©velopper sur une plateforme contrĂŽlĂ©e par d’autres. L’IA, elle, ressemble encore Ă  une page blanche oĂč l’on peut Ă©crire et crĂ©er librement. J’ai mis du temps Ă  le comprendre, et aujourd’hui je ressens un moment d’intense crĂ©ativitĂ©. Certes, beaucoup trop d’argent a Ă©tĂ© investi dans l’infrastructure, mais cela signifie simplement que certains acteurs disparaĂźtront et que d’autres revendront leur infrastructure Ă  une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’investisseurs. L’IA, c’est un peu comme Eurotunnel Ă  l’époque.

En s’éloignant des grandes manƓuvres industrielles, c’est aussi dans les ordinateurs et les puces locales que naĂźtra l’innovation. À nous de transformer cette Ă©nergie brute en produits utiles.

Je remercie cet abonnĂ© qui m’a rappelĂ© l’importance de rendre enfin hommage Ă  Netvibes et qui m’a rappelĂ© que ma passion premiĂšre a toujours Ă©tĂ© de crĂ©er des produits.

L’avenir est incertain, turbulent, mais passionnant. Let’s build !

bonus : Archives de presse


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