🟱 Un autre Web est possible nÂș4 : Infrastructure Nation

Archive de la précédente Newsletter de Tariq KRIM

🟱 Un autre Web est possible nÂș4 : Infrastructure Nation
The future is watching you.
The future is watching you.

Avec l’effervescence de communication autour de la crĂ©ation de 26 licornes et ses classements de Start-Up, on en oublie l'essentiel : comment permettre Ă  la France de conserver son leadership dans un monde devenu bipolaire. Sans un vĂ©ritable projet d’architecture technologique souveraine, la France est en train de devenir une GAFAM Nation modĂšle, prĂȘte Ă  rejoindre l’OTAN numĂ©rique voulu par Biden et Anne Neuberger, sa trĂšs ambitieuse conseillĂšre aux affaires cyber et ancienne de la NSA. En proposant d’utiliser les Grandes Plateformes comme bouclier protecteur contre les menaces cybernĂ©tiques russes et chinoises, les AmĂ©ricains ne sont plus trĂšs loin de convaincre les dirigeants europĂ©ens, dont la France, de les rejoindre.

Les 7 et 8 fĂ©vrier prochains est organisĂ©e Ă  Bercy, une grande confĂ©rence sur la souverainetĂ© numĂ©rique dans le cadre de la PrĂ©sidence française de l'Europe. En regardant la liste des intervenants programmĂ©s (effacĂ©e depuis), elle donne l’impression d’une sĂ©ance de brainstorming sur les termes de notre capitulation. Les patrons des grandes plateformes amĂ©ricaines y sont invitĂ©s Ă  parler d'Ă©thique alors qu’aucun des industriels europĂ©ens du cloud, qui font la souverainetĂ© au quotidien, n’est prĂ©sent.

Pour bien comprendre ce qui pourrait nous arriver, regardons la situation du Japon obligĂ© de dĂ©penser une majoritĂ© de son budget militaire exclusivement en armes amĂ©ricaines, en Ă©change d’une protection qu’il n’est plus totalement sĂ»r d’avoir contre la Chine.

Comment ne pas voir un parallĂšle dans l’accord passĂ© entre notre champion national de cybersĂ©curitĂ© ThalĂšs et Google avec la situation de Mitsubishi qui assemble les avions amĂ©ricains Lockheed F 35 au Japon?

Big Japanese defense manufacturers are struggling to sell 20th century tanks, aircraft and ships.

Allons-nous nous retrouver Ă  dĂ©penser 30 Ă  40% de notre budget dans le cloud, le rĂ©fĂ©rencement et la publicitĂ© ciblĂ©e des grandes plateformes pour avoir manquĂ© de vision technologique? AprĂšs la dĂ©pendance au gaz de Poutine qui dĂ©stabilise l’Europe, voici le cloud des GAFAM qui deviendra une Ă©treinte intenable pour nos Ă©conomies.

Si avoir 26 licornes est la seule chose sur laquelle nous pouvons communiquer en termes de succÚs, alors il est urgent de changer de stratégie.

Nous sommes face Ă  une menace existentielle.

Cette newsletter en deux actes expliquera comment et pourquoi nous en sommes arrivés là ainsi que les solutions auxquelles nous devrons nous atteler si nous voulons sortir de cette dystopie.

La désillusion de la Start-Up Nation

InvitĂ© le 15 janvier dernier Ă  un colloque organisĂ© par Le Vent Se LĂšve et l’Institut Rousseau, je me dĂ©solais que cette obsession de crĂ©ation de licornes nous ait dĂ©tournĂ©s de tout ce qu’il aurait Ă©tĂ© prĂ©cieux de construire en parallĂšle. Une vĂ©ritable occasion manquĂ©e.

Voir la conférence en ligne

Retour en images sur la conférence « Géopolitique du numérique » qui a ouvert notre journée de conférences consacrée à la souveraineté numérique le 15 janvie...

L’annonce soudaine de la mise en redressement judiciaire de SigFox et les difficultĂ©s de Qwant relance le dĂ©bat. Ces deux sociĂ©tĂ©s, qui ont fait partie de l’axe central de communication de la French Tech, Ă©taient rĂ©guliĂšrement prĂ©sentĂ©es par le gouvernement comme l’exemple du nouveau modĂšle de rĂ©ussite français lors des voyages officiels. Je ne suis pas lĂ  pour critiquer ces sociĂ©tĂ©s que je connais peu (j’ai rencontrĂ© leurs fondateurs quelques minutes lors d’évĂ©nements et je m’étais abstenu de tout commentaire sur leur mĂ©tier et leurs difficultĂ©s). Cet Ă©chec visible pose toutefois la question des limites de la French Tech et aussi celle, plus importante Ă  mon avis, de l’équitĂ© de traitement des sociĂ©tĂ©s de technologies.

En effet, le gouvernement a clairement ses chouchous. Ceux-ci bĂ©nĂ©ficient de la mobilisation de l’appareil d’État et d’une presse enthousiaste qui reprend souvent les Ă©lĂ©ments de langage officiels sans prendre le recul nĂ©cessaire.

Et puis, il y a les autres
les grandes oubliées.

Enfin se pose la question Ă  laquelle personne ne veut rĂ©pondre, Ă  savoir la viabilitĂ© du modĂšle de la Start-up Nation entiĂšrement pensĂ© par des gens issus d’écoles de commerce et de sciences politiques.

J’avais abordĂ© ce sujet en 2013
hĂ©las, sans grand succĂšs. Cette newsletter m’offre l’occasion de le revisiter afin d’expliquer ma position et ma vision sur ce que doit ĂȘtre la stratĂ©gie numĂ©rique du prochain quinquennat.

Avant d’aller plus loin, commençons par faire la diffĂ©rence entre les infrastructures numĂ©riques (stack technique) et les start-up qui s'appuient sur ces infrastructures. Et faisons un parallĂšle avec l’industrie aĂ©ronautique : quand l’Europe a finalement dĂ©cidĂ© d’ĂȘtre autonome en matiĂšre d’aviation civile, elle a associĂ© plusieurs grands industriels pour crĂ©er Airbus. Plus tard, des entrepreneurs ont lancĂ© leur propre compagnie aĂ©rienne. Une majoritĂ© des compagnies aĂ©riennes europĂ©ennes sont devenues par la suite clientes d’Airbus.

Depuis 10 ans, je dĂ©fends une vision similaire pour le numĂ©rique. En parallĂšle de l’Internet des Ă©coles de commerce (la French Tech), il faut aussi un Internet des dĂ©veloppeurs capable de bĂątir une alternative qui pourra ĂȘtre choisie par la prochaine gĂ©nĂ©ration d’entrepreneurs Ă  la place des technologies des GAFAM.

Mais Ă  la diffĂ©rence de la Silicon Valley conçue pour le meilleur (et pour le pire) par des ingĂ©nieurs, le numĂ©rique en France est devenu la chasse gardĂ©e d’anciens Ă©tudiants en sciences politiques ou d’écoles de commerce qui ne le maĂźtrisent qu’en surface. Dans les postes de pouvoir, les ingĂ©nieurs ont laissĂ© leur place Ă  des spĂ©cialistes de la communication. Une seule ministre du numĂ©rique Ă©tait ingĂ©nieure.

Parce qu’il est plus rassurant de copier que de crĂ©er, nous avons eu droit Ă  un ersatz sans imagination de la Silicon Valley avec dix ans de retard. Et parce qu’il est plus gratifiant de s’associer au pouvoir Ă©conomique dominant, nos gouvernants ont prĂ©fĂ©rĂ© cĂ©lĂ©brer la rĂ©ussite technologique des plateformes amĂ©ricaines, plutĂŽt que de travailler d'arrache-pied Ă  crĂ©er les nĂŽtres.

À cause de cette stratĂ©gie bancale, le gouvernement est passĂ© Ă  cĂŽtĂ© de l’essentiel : savoir faire profiter Ă  l’ensemble des Français des fruits de la rĂ©volution Internet.

En deux quinquennats, l’injection massive de capitaux publics n’aura permis qu’à une petite caste de quelques dizaines de milliers de privilĂ©giĂ©s, quasiment tous issus de l’élite parisienne, de profiter Ă  plein de la gĂ©nĂ©rositĂ© de l'État.

Pendant qu’au mĂȘme moment un numĂ©rique sans foi ni loi accĂ©lĂ©rait la transformation de l’autre France en livreurs, free-lance, et autres tĂącherons du clic corvĂ©ables Ă  merci pour reprendre la dĂ©sormais cĂ©lĂšbre expression d’Antonio Casilli.

L'Urssaf dénombre 400.000 autoentrepreneurs supplémentaires entre juin 2020 et juin 2021, pour un total en progression de 17,2 %. Cette hausse est particuliÚrement marquée dans les secteurs liés à la livraison et à la vente au détail. Ils sont toutefois de moins en moins nombreux à déclarer un chiffre d'affaires positif.

Car derriĂšre sa promesse initiale de rupture, la Start-Up Nation n’aura Ă©tĂ© que la continuitĂ© des dĂ©cisions prises lors de la prĂ©sidence Hollande. À l’époque dĂ©jĂ , rien n’avait Ă©tĂ© fait pour soutenir notre souverainetĂ© numĂ©rique. Bien au contraire! Ce quinquennat aura Ă©tĂ© le prĂ©curseur d’une politique de bras ouverts aux plateformes. Rappelez-vous des partenariats de l’Éducation Nationale avec Microsoft, Google, de l’Enseignement SupĂ©rieur avec Cisco, dont le prĂ©sident John Chambers a Ă©tĂ© nommĂ© l’ambassadeur de la French Tech.

Le parcours du prĂ©sident de Cisco force le respect mais n’y avait-il pas un Français pour faire le job ?

Au sein du Conseil national du numĂ©rique, j’ai assistĂ© aux premiĂšres loges Ă  ce glissement sans pouvoir inflĂ©chir quelque dĂ©cision que ce soit. Relire Ă  ce sujet ma tribune pour Le Point Comment la France s’est vendue aux GAFAM.

Alors, que faire?

D’abord construire un numĂ©rique plus Ă©quilibrĂ©:

  • Un numĂ©rique dont l’objectif est de nous extraire de la fĂ©odalitĂ© Ă©conomique des plateformes et qui nous permette d’inventer autre chose.
  • Un internet apaisĂ©, qui respecte notre intimitĂ©, n'utilise que trĂšs peu de donnĂ©es personnelles ni de technologies de manipulation mentale.
  • Un espace oĂč les enfants ne sont pas les proies des techniques sophistiquĂ©es de marketing, oĂč les populations ne sont pas constamment, par l'extrĂȘme granularitĂ© des rĂ©seaux sociaux, la cible d’opĂ©rations psychologiques.
  • Un monde oĂč le dĂ©sĂ©quilibre affectif et le profilage agressif n’obligent pas en permanence les plus fragiles Ă  s’endetter pour acheter des produits dont ils n'ont pas besoin.
  • Un rĂ©seau qui facilite l’accĂšs Ă  la connaissance et au savoir, ce qui Ă©tait la promesse initiale de l’Internet avant la prise de pouvoir par les Big Tech.

C’est ce que j’appelle le Slow Web, une interzone qui existe entre l’Internet de la Chine et celui de la Silicon Valley.

C’est aussi l'idĂ©e d’un Internet europĂ©en des LumiĂšres.

Les seules start-up ne pourront pas construire cet Internet. Il faudra construire de nouvelles briques technologiques, amĂ©liorer et maintenir celles qui existent dĂ©jĂ . Remettre en cause certains choix rĂ©cents qui ont permis Ă  une poignĂ©e d'entreprises de faire main basse sur les protocoles natifs de l’Internet (e-mail, chat, flux d’actualitĂ©s
)

Il faudra aussi combattre l’idĂ©ologie des suprĂ©macistes numĂ©riques, qui pensent que les humains sont mieux « gĂ©rĂ©s » par des machines ou de l’intelligence artificielle. Cette idĂ©ologie, trĂšs en vogue chez une nouvelle gĂ©nĂ©ration de hauts fonctionnaires, qui se prennent pour des entrepreneurs, est responsable de nombreux dysfonctionnements, d’une gabegie d’argent public et d’une exposition de nos donnĂ©es personnelles Ă  des acteurs non europĂ©ens.

L’État n’est ni une plateforme, ni une Start-Up. Il est, comme la dĂ©mocratie, notre plus prĂ©cieux commun. Le numĂ©rique doit le rendre plus rĂ©silient, plus attentionnĂ©, voire plus humain. Ne le laissons pas entre les mains d’apprentis sorciers de la donnĂ©e.

Mais revenons Ă  notre sujet, Ă  savoir la Start-Up Nation

Les start-up resteront toujours un pari risqué.

J’ai toujours Ă©tĂ© un ardent dĂ©fenseur du modĂšle des start-up dont je connais les points forts et les limites pour en avoir Ă©tĂ© l’un des pionniers en France.

C’est pour cela que j’ai Ă©tĂ© surpris par cette institutionnalisation des start-up par l’État, fait unique en Europe. Elle a créé une importante normalisation des profils d’entrepreneurs et un paradoxe sur l’investissement de l'État.

Les rebelles dans leur garage ont laissé leur place aux BDE et juniors entreprises des écoles des beaux quartiers qui citent du Elon Musk dans le texte.

S’il est important de saluer la performance incroyable de nombreuses start-up françaises dans la compĂ©tition internationale, il ne faut pas s’étonner qu’une grande partie de leur capital soit dĂ©tenue par des investisseurs Ă©trangers. Cela fait partie du jeu (une start-up est une mini-multinationale) et ne me dĂ©range pas dĂšs lors que l’on a mis en place les bonnes protections juridiques et techniques si elle exploite des donnĂ©es stratĂ©giques.

26 licornes, c’est trĂšs bien. Mais lĂ  aussi, gardons-nous de crier victoire trop tĂŽt. Il ne s’agit pour l’instant que de valorisations Ă  confirmer par un Ă©vĂ©nement liquide (introduction en Bourse, fusion ou acquisition). Dans cette cohorte, il est Ă©vident que certaines vont cartonner, certaines vont se vendre au plus offrant tandis que d’autres disparaĂźtront ou se feront racheter Ă  la casse. La rĂ©cente absorption par l’allemand Gorilla du français Frichti montre que la consolidation du marchĂ© est dĂ©jĂ  entamĂ©e.

L’objectif est de ne pas se transformer en Zombiecorn, c'est-Ă -dire en une licorne prisonniĂšre d’une valorisation trop Ă©levĂ©e avec une croissance qui ne leur permet plus de la justifier. Combien de boĂźtes françaises sont rĂ©ellement dans ce cas ? Nous l'apprendrons bien assez tĂŽt.

The surge of unicorns is worrisome given lengthening hold times, delayed exits, and evidence of widespread overvaluation. Is it too much of a good thing?

Dans ce contexte de compĂ©tition internationale, je n’ai jamais compris pourquoi le gouvernement met une telle pression sur les entrepreneurs en s’improvisant porte-parole des Licornes. MĂ©langer Politique et Start-Up me semble trĂšs contre-productif.

Cela me rappelle cet entretien il y a quelques annĂ©es Ă  Davos avec un des conseillers d’Angela Merkel. Nous lui expliquions qu’il fallait investir dans des milliers d’entreprises pour que quelques-unes puissent exploser et s’introduire en bourse. Ce Ă  quoi il nous a rĂ©pondu qu’il ne souhaitait investir que sur celles qui Ă©taient sĂ»res de rĂ©ussir. Il n’avait rien compris de ce que nous lui avions expliquĂ© ! Ce jour-lĂ , j’ai compris que le politique n’est aux cĂŽtĂ©s des entrepreneurs que lorsqu’ils ont du succĂšs. Dans la difficultĂ©, l'entrepreneur reste seul avec ses Ă©quipes et partenaires.

Car contrairement Ă  ce que prĂ©tend CĂ©dric O dans sa communication hebdomadaire, devenir une licorne n’est pas une finalitĂ©. C’est bel et bien l’ascension Ă  un niveau de compĂ©tition encore plus fĂ©roce.

Peut-ĂȘtre oublie-t-il que le succĂšs des licornes n’a pas grand-chose Ă  voir avec l’action gouvernementale. C’est une tendance mondiale, y compris chez nos voisins allemands, anglais ou mĂȘme suĂ©dois qui, eux, n’ont pas leur French Tech.

4 raisons favorisent la création de licornes :

  • La premiĂšre est le mobile qui a offert des facilitĂ©s de distribution et paiement au niveau mondial comme jamais il n’en avait existĂ© auparavant.
  • La seconde est le cloud qui a permis de soutenir l’hyper croissance des entreprises. Une sociĂ©tĂ© comme Snapchat a pu devenir un des 5 rĂ©seaux sociaux mondiaux en s’appuyant exclusivement sur le cloud de Google (et une facture annuelle de 2 milliards de dollars).
  • La troisiĂšme est l’extrĂȘme efficacitĂ© des rĂ©seaux sociaux pour acquĂ©rir des clients. À tel point que les politiques qui se sont appropriĂ© ces techniques pour diffuser leurs idĂ©es ont quasiment tous Ă©tĂ© Ă©lus.
  • Enfin, avec la politique de taux des banques centrales, il y a trop d’argent sur le marchĂ©. Aujourd’hui, en promettant des croissances Ă  deux chiffres, les start-up sont devenues des valeurs trĂšs prisĂ©es. Mais cela ne durera pas Ă©ternellement.

L’investisseur Robin Rivaton donne une analyse trĂšs intĂ©ressante sur le succĂšs des licornes en France.

Chaque semaine ou presque, la France s'enorgueillit d'une nouvelle licorne, ces start-up valorisées plus d'un milliard d'euros. Le signe d'un changement profond.

CĂ©dric O oublie que la vraie force de la premiĂšre cohorte de licornes amĂ©ricaines (2009-2013), dont faisaient partie Uber et AirBnb, est d’avoir pu s’introduire en bourse Ă  un prix qui confirmait leur valorisation privĂ©e. Les licornes françaises le savent trĂšs bien. Elles vont devoir apprendre Ă  Ă©voluer sur un marchĂ© europĂ©en trĂšs embouteillĂ© et bien moins mature qu’aux États-Unis.

La situation actuelle n’est pas sans rappeler la fameuse bulle de 2000, oĂč un nombre important d’entreprises Internet non technologiques, les fameuses Dot Com, atteignaient des sommets de valorisation et s'introduisaient en bourse sans ĂȘtre encore profitables, voire sans avoir de produit qui fonctionnait. À la fin de 2002, cinq mille milliards de dollars de valorisation disparaissaient en fumĂ©e, le NASDAQ perdait 78 % de sa valeur et Ă  la fin 2004, la moitiĂ© des dotcoms avait mis la clĂ© sous la porte.

La possibilitĂ© que nous soyons dans une nouvelle bulle n’est pas Ă  Ă©carter mais son Ă©clatement sera dĂ» Ă  des raisons diffĂ©rentes.

En 2000, beaucoup de concepts Ă©taient arrivĂ©s trop tĂŽt. Les gens se connectaient encore avec modems et les outils de paiement simples n’existaient pas encore.

En 2022 la question est avant tout une crise existentielle. RĂ©ussir Ă  vendre ses produits ou ses services Ă  une cohorte d’utilisateurs fidĂšles en France ne garantit en rien que l’on deviendra un leader mondial.

2022 sera d’ailleurs un cas d’école du dilemme d’innovation de Clay Christensen.

Combien de solutions de banques, de paiements en magasin ou restaurant, de places de marchĂ© spĂ©cialisĂ© ou de services de livraisons le marchĂ© est-il capable d’absorber ? Surtout quand l’Allemagne ou l’Angleterre en produit tout autant et d’aussi bonne qualitĂ©.

Il faudra faire attention au faux sentiment de succÚs lié à la pandémie et à l'accélération de certaines pratiques pendant le confinement.

Souvenez-vous de Clubhouse, l’application prĂ©fĂ©rĂ©e des confinĂ©s, qui peine dĂ©sormais Ă  construire un trafic, maintenant que les restaurants ont rĂ©ouvert.

La pandĂ©mie a d’ailleurs concentrĂ© ces deux derniĂšres annĂ©es l’équivalent de 10 ans de dĂ©penses technologiques. Tout le monde a rachetĂ© un Ă©cran, sa webcam, son abonnement Ă  Zoom et il n'est pas sĂ»r que ce niveau de dĂ©pense se maintienne dans le futur. C’est ce qu’explique Albert Edwards, un des analystes star de la SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale, qui prĂ©dit un dĂ©crochage important des Big Tech et par effet de ricochet des Licornes.

Global strategist pour Société générale, Albert Edwards avait annoncé l'implosion du Nasdaq en 2001 et celle des subprimes en 2007. Il prévoit aujourd'hui un krach des big tech et en explique les causes. Provocateur, passionnant... et un peu flippant.

Les marchĂ©s ont aussi fortement baissĂ© ces derniers mois. Ils traduisent une certaine forme de nervositĂ© sur l’avenir, comme si la pandĂ©mie marquait le dĂ©but de la fin d’une croissance folle. Le dĂ©but de l’ùre Post Mobile.

Comme nous pouvons le constater, les prochaines annĂ©es seront loin d’ĂȘtre un long fleuve tranquille.

Nous avons fait la moitié du chemin mais le plus dur reste à venir.

Notre stratĂ©gie numĂ©rique aurait dĂ» s'appuyer Ă  la fois sur l’Internet des Ă©coles de commerces (la Start-Up nation) et sur l’Internet des dĂ©veloppeurs et des ingĂ©nieurs que j’appelle l’infrastructure nation.

Ces deux Internet n'auraient pas dĂ» ĂȘtre opposĂ©s car ils sont complĂ©mentaires.

À partir de 2013, quand le secteur du numĂ©rique a commencĂ© Ă  ĂȘtre dominĂ© par des profils issus des Ă©coles de commerce, une des consĂ©quences les plus visibles a Ă©tĂ© le glissement sĂ©mantique du terme “innovation”.

Il y a vingt ans, intĂ©grer une camĂ©ra minuscule dans un tĂ©lĂ©phone, ou transformer ce dernier en ordinateur Ă©tait considĂ©rĂ© comme de l’innovation.

Aujourd’hui faire des couches-culottes bios ou de la livraison de nourriture en moins de quinze minutes suffit pour faire partie des entreprises « innovantes » du next 120.

L'Ă©norme majoritĂ© des licornes font d’ailleurs partie de l’Internet des Ă©coles de commerce. Pour soutenir leur financement, l’ÉlysĂ©e s’est transformĂ© en Banque d'affaires. S’il s’était aussi transformĂ© en CTO, il aurait pu jouer un rĂŽle central dans le dĂ©veloppement et le financement des outils numĂ©riques dont nous avons besoin pour nous Ă©manciper des grandes plateformes.

Malheureusement c’est l’inverse qui a Ă©tĂ© fait. Avec la stratĂ©gie “Cloud de Confiance”, dĂ©sormais les Big Tech s’invitent au cƓur de l’État. Pour justifier ce choix extrĂȘmement critiquable, un ancien Ministre des Affaires ÉtrangĂšres, des Ă©conomistes et mĂȘme une ancienne directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy ont Ă©tĂ© appelĂ©s Ă  la rescousse pour minimiser l’impact de l’extraterritorialitĂ© du Cloud Act.

Je parle longuement de ce sujet dans un petit e-book : Lettre à ceux qui veulent faire tourner la France sur l'ordinateur de quelqu’un d’autre.

Alors pourquoi ce choix constant des GAFAM plutÎt que des entreprises françaises et européennes ?

Un observateur avisĂ© du gouvernement m’en expliquait les diffĂ©rentes raisons :

DĂšs son dĂ©but de mandat, la doctrine officielle du gouvernement Macron a Ă©tĂ© de dire, travaillons avec les meilleurs, donc avec les GAFAM. Cette stratĂ©gie des “premiers de cordĂ©e” doit beaucoup Ă  la proximitĂ© de certains de ses acteurs dans le jeu politique. Pas structurĂ©, mais aussi peu considĂ©rĂ©, l’environnement technologique français n’arrive pas Ă  faire entendre sa voix. Pire, le monde du logiciel français a laissĂ© le gouvernement rĂ©pĂ©ter tout au long du quinquennat que la France Ă©tait en retard et qu’il n’y avait pas de solutions disponibles. Ce discours du “retard français” aura eu des consĂ©quences importantes sur l’équipement cloud.

À de rares exceptions prùs, les start-up françaises les plus connues ont toutes fait le choix de se baser sur les technologies d’Amazon, Microsoft ou Google.

source capital.fr
source capital.fr

Au risque de choquer mon audience, je ne considĂšre pas qu’une entreprise, Ă  la diffĂ©rence de l’État et de nos infrastructures stratĂ©giques, n’ait de comptes Ă  rendre sur le choix de sa « stack » logicielle. Le besoin de croissance, le niveau technique de son Ă©quipe, la disponibilitĂ© d’argent Ă  dĂ©ployer pour aller vite sont souvent les raisons qui poussent Ă  choisir les services de cloud managĂ©s amĂ©ricains.

Mais, dans le cas oĂč de l’argent public ou des fonds europĂ©ens sont investis (ce qui a Ă©tĂ© le cas pour un grand nombre d’entre elles) des conditions et des obligations auraient dĂ» ĂȘtre introduites.

C’est aussi Ă  l'État de stimuler une politique d’achat et de dĂ©finir une stratĂ©gie des donnĂ©es sensibles. Par exemple, la constitution de fiduciaires de donnĂ©es avec une gouvernance protectrice en cas de rachat d’une licorne par des intĂ©rĂȘts Ă©trangers aurait pu ĂȘtre envisagĂ©e. Ce modĂšle des fiduciaires de donnĂ©es pour les start-up s’inspire de ce que nous avons dans la presse : les sociĂ©tĂ©s de journalistes permettent de minimiser l’influence de l'actionnariat sur la partie Ă©ditoriale.

Car personne n’est capable au gouvernement de dire ce qu’il se passerait si Doctolib se vendait Ă  Amazon ou un autre acteur Ă©tranger. D’un cĂŽtĂ©, un acteur privĂ© a le choix de se vendre Ă  qui il souhaite D'un autre, une telle vente mettrait en pĂ©ril la stratĂ©gie vaccinale de la France. Peut-on confier une mission rĂ©galienne Ă  un acteur Ă©tranger ? Que deviendraient alors les donnĂ©es de santĂ© des Français ?

La pandĂ©mie a ouvert la boĂźte de pandore de la souverainetĂ© numĂ©rique et a obligĂ© le gouvernement Ă  changer sa stratĂ©gie et introduire la notion d’autonomie stratĂ©gique (pour ne pas avoir Ă  utiliser le terme de souverainetĂ©).

La polĂ©mique du Health Data Hub, hĂ©bergĂ© chez Microsoft (voir ma prĂ©cĂ©dente newsletter) nous a ouvert les yeux sur un autre problĂšme, celui du coĂ»t de la rĂ©versibilitĂ© d’un projet cloud et la difficultĂ© de faire sortir les donnĂ©es en dehors d’une plateforme de cloud amĂ©ricain.

À toutes ces questions le gouvernement n’apporte que de maigres rĂ©ponses.

Mais la cerise sur le gĂąteau reste la dĂ©cision de la Cour de Justice de l’Union europĂ©enne d’annuler le Privacy Shield (arrĂȘt Schrem II). Cette dĂ©cision a pris par surprise le gouvernement ainsi que toutes les entreprises qui hĂ©bergent leurs donnĂ©es chez les GAFAM et qui ne s’y Ă©taient pas prĂ©parĂ© (ce n’est pas faute d’avoir tentĂ© de les alerter). Une vĂ©ritable roulette russe juridique et surtout, comme je l’expliquais Ă  certains entrepreneurs, une possible responsabilitĂ© pĂ©nale Ă  la clĂ©.

Ce n’est Ă©videmment pas simple de trancher, mais ne rien faire aura Ă©tĂ© une faute.

À ma connaissance, aucun flĂ©chage souverain de l’argent public de la part de la BPI, de la caisse des dĂ©pĂŽts, des fonds europĂ©ens ou du gouvernement n’a Ă©tĂ© envisagĂ© Ă  ce jour.

Sur la question des choix de technologie, le gouvernement et l’administration ont raisonnĂ© comme des consultants qui Ă©valuent diffĂ©rentes solutions et non pas comme des bĂątisseurs. N’est pas Mesmer qui veut.

Pour qu’une majoritĂ© de start-up puisse choisir des solutions françaises, le gouvernement aurait dĂ» rĂ©unir l'ensemble des dĂ©veloppeurs europĂ©ens qui travaillent Ă  s'Ă©manciper des GAFAM (quelques centaines d’entreprises et de codeurs) et soutenir massivement leurs initiatives.

Si nous avions fait cela dĂšs le dĂ©but de la pandĂ©mie, nous aurions pu disposer d’une version “beta” de cette infrastructure nation et porter cette vision Ă  l'ensemble de nos partenaires europĂ©ens. Cela aurait pu devenir le plus important projet numĂ©rique depuis le rapport Bangemann sur les autoroutes de l’information (1993).

1993

Fort d’un premier succĂšs national, le prĂ©sident Emmanuel Macron, lors de son discours d’introduction de la PrĂ©sidence française de l’Europe du 19 janvier 2022 aurait alors pu positionner la France comme le fer de lance des non-alignĂ©s du numĂ©rique face aux États-Unis et la Chine. Et pourquoi pas entraĂźner une dynamique avec de nouveaux alliĂ©s en Afrique, en Inde ou d’autres partenaires dans le reste du monde

Cela aurait “eu de la gueule", un peu comme le discours de la France à l’Onu avant la deuxiùme guerre d’Irak.

HĂ©las, la France va promouvoir sa stratĂ©gie d’alliance avec les GAFAM et la grande confĂ©rence sur la souverainetĂ© numĂ©rique organisĂ©e dans le cadre de la PrĂ©sidence française de l’Europe les 7 et 8 fĂ©vrier va donner la part belle aux patrons de Microsoft et lobbyistes de Google. Aucun des acteurs de cette stack d’émancipation europĂ©enne n’a Ă©tĂ© invitĂ© Ă  y participer. C’est bien triste.

L’infrastructure nation, un projet ambitieux, difficile à mettre en Ɠuvre, mais pas infaisable.

Au-delĂ  de l’offre tentante de rejoindre l’OTAN numĂ©rique proposĂ© par Biden, il y a plusieurs raisons pour lesquelles ce gouvernement ne veut pas se lancer dans une “infrastructure nation”.

Tout d'abord, soutenir la “stack logicielle” d’émancipation, c'est-Ă -dire l’ensemble des briques technologiques nĂ©cessaires pour construire un numĂ©rique alternatif aux grandes plateformes, n’est pas quelque chose qui est rentable Ă  court terme. C’est encore moins vendable en termes de communication.

Ensuite, personne n’est d’accord sur ce qu’elle doit ĂȘtre. Faut-il uniquement se focaliser sur le cloud (Big Data, IA, Stockage Souverain) ou faut-il aussi stimuler un ensemble d'alternatives pour les consommateurs (e-mail, chat, office) ?

La question reste ouverte, mais avec un peu de volontĂ© autour de la table il aurait Ă©tĂ© possible d’obtenir un consensus fort sur les briques essentielles Ă  construire. On aurait pu par exemple investir 20 % de l’argent allouĂ© sur des projets totalement disruptifs et garder le reste pour consolider des briques techniques existantes et plus classiques.

Cette mise en Ɠuvre permettrait d’avoir une couche technologique capable de rĂ©pondre Ă  une trĂšs grande partie, voire la totalitĂ© de nos besoins. Mais il faut avoir une vision sur le long terme, une forte dose de crĂ©ativitĂ©, un peu de foi en l’avenir et beaucoup de courage
 pas forcĂ©ment le point fort de nos gouvernants.

Trop d’hommes politiques ou de hauts fonctionnaires biberonnĂ©s aux ratios Ă©conomiques du secteur privĂ© n’ont pas le modĂšle mental pour financer Ă  perte des projets ou des briques de base technique sans retour financier direct et immĂ©diat.

Mais ils ignorent souvent que ces briques de base que nous sommes plusieurs Ă  dĂ©velopper aujourd’hui seront le catalyseur de la prochaine vague technologique. Il suffit de regarder toute l’activitĂ© liĂ©e au WEB3. Au-delĂ  du buzz, une vĂ©ritable infrastructure technique a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e Ă  partir de rien. Elle attire d’ailleurs pour ces raisons les meilleurs dĂ©veloppeurs.

Rappelons que les GAFAM et les licornes n’existent que parce que des gens ont investi sans retour financier direct depuis 50 ans dans l’architecture technique de l’Internet, dans Linux, le Web et des milliers de librairies de logiciel libre. À tel point que l’on dĂ©couvre parfois, Ă  l’instar de log4j, qu’un composant nĂ©vralgique de sĂ©curitĂ© de l’Internet est en fait maintenu bĂ©nĂ©volement par un dĂ©veloppeur sur son temps libre !

Un bout de code maintenu gracieusement par une personne du Nebraska depuis 2003
Un bout de code maintenu gracieusement par une personne du Nebraska depuis 2003

C’est pour cela que la prochaine bataille du contrĂŽle et de la libĂ©ration de l’Internet passe avant tout par la crĂ©ation de logiciel, avant la rĂ©gulation et la gĂ©opolitique.

C’est aussi pour cela que les grandes plateformes amĂ©ricaines et le dĂ©partement d’État amĂ©ricain tentent d’étouffer l’innovation disruptive dans le logiciel en Europe. Parce que nous avons encore les moyens humains de “coder” une alternative Ă  ce qui existe aujourd’hui et faire pencher la balance.

Enfin la derniĂšre raison, et la plus justifiable, est que nous sommes dĂ©savantagĂ©s en l’Europe par nos rĂšgles de concurrence qui nous empĂȘchent de subventionner directement nos entreprises.

Aux États-Unis, l’astuce a longtemps consistĂ© Ă  faire passer ces dĂ©penses dans le budget de la dĂ©fense, pour ĂȘtre ensuite recyclĂ©es dans le civil. GAFAM, Silicon Valley, labos de recherche et universitĂ©s auront largement bĂ©nĂ©ficiĂ© des dizaines de milliards de dollars de contrats ou de subventions du Pentagone ou de la DARPA. On parle alors de technologies duales. IsraĂ«l, la vraie “Start-Up nation” utilise l’armĂ©e ou les services de renseignements comme incubateur financier de leurs futures technologies.

En Chine, la question ne se pose mĂȘme pas. Besoin d’une nouvelle usine pour construire des composants de nouvelle gĂ©nĂ©ration ? Les milliards nĂ©cessaires sont investis sans mĂȘme sourciller.

En effet, grĂące Ă  un rĂ©gime juridique ancien qui a survĂ©cu Ă  la rĂ©forme Ă©conomique de Deng Xiaoping, la Chine dispose d'outils pour investir des milliards d'euros dans des entreprises d'État qui sont ensuite parfois privatisĂ©es au profit de l'Ă©lite du Parti Communiste. L'intervention publique et l'intĂ©rĂȘt privĂ© se rejoignent ainsi pour produire les nouveaux champions nationaux. C’est par l’intervention personnelle de Masayoshi Son, patron d’ARM qui a acceptĂ© l’autonomie de sa filiale chinoise, que la Chine peut dĂ©sormais contourner TMSC, principal constructeur taĂŻwanais de puces.

Massive expansion campaign targets wide variety of chips, but export controls limit growth at leading edge.

En France on broie l’Internet des dĂ©veloppeurs dans des appels Ă  projets aux processus bureaucratiques sans fin. En obligeant des ingĂ©nieurs d’exception Ă  faire Ă©quipe avec d'autres acteurs mĂ©diocres au sein de consortiums interminables pour obtenir les d'investissements de l’Europe. Cette stratĂ©gie ne peut accoucher que de produits insipides, voire pires. Parfois quelques dizaines de milliers d’euros suffiraient pour terminer un projet ; parfois permettre Ă  une poignĂ©e de dĂ©veloppeurs gĂ©niaux de se focaliser sur un problĂšme pendant un ou deux ans suffirait pour obtenir des rĂ©sultats incroyables.

Prenons le cas d’une alternative souveraine Ă  Office 365. Cela fait dix ans que j’entends parler de cela. Des dizaines de financements de l'Europe y ont Ă©tĂ© consacrĂ©s.

Mais dans la rĂ©alitĂ©, la majoritĂ© des applications de travail collaboratif dites souveraines en France s’appuient sur Only Office, un logiciel créé par une sociĂ©tĂ© russe Ă©tablie en Lettonie.

Only Office
Only Office

Bercy se prĂ©pare d’ailleurs Ă  financer prochainement un nouvel appel Ă  projet. Certains y voient une tentative de rassurer, Ă  quelques mois des Ă©lections, un Ă©cosystĂšme français extrĂȘmement inquiet de l’arrivĂ©e des GAFAM et de leurs suites bureautiques au sein de l’État.

Il est donc impĂ©ratif de changer la maniĂšre de fonctionner, sinon ce sera de l’argent jetĂ© par les fenĂȘtres.

Par exemple, sur la solution Only Office, pourquoi n’avons-nous pas investi directement dans la sociĂ©tĂ© qui produit le logiciel ? En lui demandant de rĂ©aliser toutes les modifications nĂ©cessaires, et de former des ingĂ©nieurs français pour participer Ă  son amĂ©lioration. Tout en investissant dans les autres Ă©diteurs Web libres pour complĂ©ter l’offre concurrentielle.

PlutĂŽt que d’obliger l’écosystĂšme de travail collaboratif Ă  montrer un dossier de financement, n’aurait-il pas Ă©tĂ© plus judicieux pour la Direction GĂ©nĂ©rale des Entreprises de mettre tout de suite 20 millions sur la table pour prĂ©-acheter de produits de bureautique et leur permettre de faire d’avancer plus rapidement leurs produits ?

Bercy dit que c’est impossible Ă  cause des traitĂ©s internationaux. Mais il existe deux exceptions qui pourraient ĂȘtre utilisĂ©es, l'exception culturelle (le logiciel est une Ɠuvre d’auteur) et l’exception de DĂ©fense nationale.

AprĂšs tout, le MinistĂšre de la dĂ©fense amĂ©ricain a bien dĂ©pensĂ© les 10 milliards qui ont permis Ă  Amazon de dĂ©velopper l’ensemble des fonctionnalitĂ©s qui lui permettent de dominer le marchĂ© europĂ©en.

Enfin, il faudra se poser sĂ©rieusement la question du financement des start-up technologiques créées en France, domaine que je connais bien avec Netvibes et Jolicloud. Elles prĂ©fĂšrent Ă  raison partir aux États-Unis oĂč on saura les traiter et les faire grandir avec respect. Des pĂ©pites comme Algolia, Dataiku ou encore Snowflake l’ont bien compris. Elles ne font plus partie de la liste des licornes françaises.

Ceci n’est pourtant pas une fatalitĂ©, avec une bonne politique d’accompagnement, des Ă©coles qui produisent 50 000 ingĂ©nieurs bien formĂ©s tous les ans, le crĂ©dit impĂŽt recherche, la France aurait dĂ» ĂȘtre depuis longtemps un paradis pour dĂ©veloppeurs.

Mais le principal problĂšme est ailleurs.

La Start-Up nation, une communication volontairement anhistorique ?

“anhistorique (adjectif) : Qui ne tient pas compte du point de vue historique.” Larousse

Micral, la start-up française des années 70.
Micral, la start-up française des années 70.

George Orwell Ă©crivait dans 1984 que “celui qui a le contrĂŽle du passĂ© a le contrĂŽle du futur”. La richesse de l’histoire numĂ©rique française et europĂ©enne n’est plus connue de la jeune gĂ©nĂ©ration. Le seul modĂšle repris en chƓur par les mĂ©dias est celui du startupeur sorti d’école de commerce. Or, revisiter notre passĂ© permettrait de changer nos modĂšles.

Tout jeune j’ai Ă©tĂ© bercĂ© par les exploits de hackers amĂ©ricains et europĂ©ens, d’entrepreneurs de la Silicon Valley mais aussi français. L’histoire de l’Internet, avant l’arrivĂ©e du duopole Iphone, Android est pourtant passionnante. Chaque annĂ©e je donne un cours Ă  Science Po pour un ami sur les origines culturelles de la Silicon Valley et je suis fascinĂ© par la curiositĂ© des Ă©tudiants qui semblent dĂ©couvrir un nouveau pan de l’histoire.

L’histoire de l’Internet et de la technologie est avant tout une histoire culturelle, une rĂ©bellion contre le systĂšme, financĂ©e par le DĂ©partement de la DĂ©fense. C’est aussi l’histoire d’une dystopie qui s’est longtemps cachĂ©e derriĂšre un discours optimiste. Tout ce qui nous arrive avec les grandes plateformes et l’intelligence artificielle Ă©tait dĂ©jĂ  craint par les vĂ©ritables pionniers de ces disciplines.

L’actuel gouvernement surfe sur cette mĂ©connaissance du grand public lorsqu’il rĂ©pĂšte Ă  qui veut l’entendre qu’« avant eux, il n’y avait rien».

Conclusion de tout ceci? Mitterrand a institutionnalisé le Rap.

Plantu Le Monde 1990
Plantu Le Monde 1990

Ce gouvernement aura institutionnalisé la start-up, en lui enlevant son énergie de rébellion technologique et créative pour en faire un business comme les autres.

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La suite au prochain Ă©pisode. Merci de m’avoir lu jusqu’ici.

Quelques liens pour cette édition

Tariq Krim est un entrepreneur français à succÚs. En lançant Netvibes en 2005, il connaßt un succÚs mondial, Mark Zuckerberg utilise son service ainsi que to...

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Ces guichets de proximitĂ© donnent accĂšs en un lieu unique Ă  au moins neuf opĂ©rateurs de services publics de l’Etat. Ils sont l’une des mesures phares de l’Agenda rural mis en Ɠuvre Ă  l’issue du grand dĂ©bat national.

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