
Avec lâeffervescence de communication autour de la crĂ©ation de 26 licornes et ses classements de Start-Up, on en oublie l'essentiel : comment permettre Ă la France de conserver son leadership dans un monde devenu bipolaire. Sans un vĂ©ritable projet dâarchitecture technologique souveraine, la France est en train de devenir une GAFAM Nation modĂšle, prĂȘte Ă rejoindre lâOTAN numĂ©rique voulu par Biden et Anne Neuberger, sa trĂšs ambitieuse conseillĂšre aux affaires cyber et ancienne de la NSA. En proposant dâutiliser les Grandes Plateformes comme bouclier protecteur contre les menaces cybernĂ©tiques russes et chinoises, les AmĂ©ricains ne sont plus trĂšs loin de convaincre les dirigeants europĂ©ens, dont la France, de les rejoindre.
Les 7 et 8 fĂ©vrier prochains est organisĂ©e Ă Bercy, une grande confĂ©rence sur la souverainetĂ© numĂ©rique dans le cadre de la PrĂ©sidence française de l'Europe. En regardant la liste des intervenants programmĂ©s (effacĂ©e depuis), elle donne lâimpression dâune sĂ©ance de brainstorming sur les termes de notre capitulation. Les patrons des grandes plateformes amĂ©ricaines y sont invitĂ©s Ă parler d'Ă©thique alors quâaucun des industriels europĂ©ens du cloud, qui font la souverainetĂ© au quotidien, nâest prĂ©sent.
Pour bien comprendre ce qui pourrait nous arriver, regardons la situation du Japon obligĂ© de dĂ©penser une majoritĂ© de son budget militaire exclusivement en armes amĂ©ricaines, en Ă©change dâune protection quâil nâest plus totalement sĂ»r dâavoir contre la Chine.
Comment ne pas voir un parallĂšle dans lâaccord passĂ© entre notre champion national de cybersĂ©curitĂ© ThalĂšs et Google avec la situation de Mitsubishi qui assemble les avions amĂ©ricains Lockheed F 35 au Japon?
Big Japanese defense manufacturers are struggling to sell 20th century tanks, aircraft and ships.
Allons-nous nous retrouver Ă dĂ©penser 30 Ă 40% de notre budget dans le cloud, le rĂ©fĂ©rencement et la publicitĂ© ciblĂ©e des grandes plateformes pour avoir manquĂ© de vision technologique? AprĂšs la dĂ©pendance au gaz de Poutine qui dĂ©stabilise lâEurope, voici le cloud des GAFAM qui deviendra une Ă©treinte intenable pour nos Ă©conomies.
Si avoir 26 licornes est la seule chose sur laquelle nous pouvons communiquer en termes de succÚs, alors il est urgent de changer de stratégie.
Nous sommes face Ă une menace existentielle.
Cette newsletter en deux actes expliquera comment et pourquoi nous en sommes arrivés là ainsi que les solutions auxquelles nous devrons nous atteler si nous voulons sortir de cette dystopie.
La désillusion de la Start-Up Nation
InvitĂ© le 15 janvier dernier Ă un colloque organisĂ© par Le Vent Se LĂšve et lâInstitut Rousseau, je me dĂ©solais que cette obsession de crĂ©ation de licornes nous ait dĂ©tournĂ©s de tout ce quâil aurait Ă©tĂ© prĂ©cieux de construire en parallĂšle. Une vĂ©ritable occasion manquĂ©e.
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Lâannonce soudaine de la mise en redressement judiciaire de SigFox et les difficultĂ©s de Qwant relance le dĂ©bat. Ces deux sociĂ©tĂ©s, qui ont fait partie de lâaxe central de communication de la French Tech, Ă©taient rĂ©guliĂšrement prĂ©sentĂ©es par le gouvernement comme lâexemple du nouveau modĂšle de rĂ©ussite français lors des voyages officiels. Je ne suis pas lĂ pour critiquer ces sociĂ©tĂ©s que je connais peu (jâai rencontrĂ© leurs fondateurs quelques minutes lors dâĂ©vĂ©nements et je mâĂ©tais abstenu de tout commentaire sur leur mĂ©tier et leurs difficultĂ©s). Cet Ă©chec visible pose toutefois la question des limites de la French Tech et aussi celle, plus importante Ă mon avis, de lâĂ©quitĂ© de traitement des sociĂ©tĂ©s de technologies.
En effet, le gouvernement a clairement ses chouchous. Ceux-ci bĂ©nĂ©ficient de la mobilisation de lâappareil dâĂtat et dâune presse enthousiaste qui reprend souvent les Ă©lĂ©ments de langage officiels sans prendre le recul nĂ©cessaire.
Et puis, il y a les autresâŠles grandes oubliĂ©es.
Enfin se pose la question Ă laquelle personne ne veut rĂ©pondre, Ă savoir la viabilitĂ© du modĂšle de la Start-up Nation entiĂšrement pensĂ© par des gens issus dâĂ©coles de commerce et de sciences politiques.
Jâavais abordĂ© ce sujet en 2013âŠhĂ©las, sans grand succĂšs. Cette newsletter mâoffre lâoccasion de le revisiter afin dâexpliquer ma position et ma vision sur ce que doit ĂȘtre la stratĂ©gie numĂ©rique du prochain quinquennat.
Avant dâaller plus loin, commençons par faire la diffĂ©rence entre les infrastructures numĂ©riques (stack technique) et les start-up qui s'appuient sur ces infrastructures. Et faisons un parallĂšle avec lâindustrie aĂ©ronautique : quand lâEurope a finalement dĂ©cidĂ© dâĂȘtre autonome en matiĂšre dâaviation civile, elle a associĂ© plusieurs grands industriels pour crĂ©er Airbus. Plus tard, des entrepreneurs ont lancĂ© leur propre compagnie aĂ©rienne. Une majoritĂ© des compagnies aĂ©riennes europĂ©ennes sont devenues par la suite clientes dâAirbus.
Depuis 10 ans, je dĂ©fends une vision similaire pour le numĂ©rique. En parallĂšle de lâInternet des Ă©coles de commerce (la French Tech), il faut aussi un Internet des dĂ©veloppeurs capable de bĂątir une alternative qui pourra ĂȘtre choisie par la prochaine gĂ©nĂ©ration dâentrepreneurs Ă la place des technologies des GAFAM.
Mais Ă la diffĂ©rence de la Silicon Valley conçue pour le meilleur (et pour le pire) par des ingĂ©nieurs, le numĂ©rique en France est devenu la chasse gardĂ©e dâanciens Ă©tudiants en sciences politiques ou dâĂ©coles de commerce qui ne le maĂźtrisent quâen surface. Dans les postes de pouvoir, les ingĂ©nieurs ont laissĂ© leur place Ă des spĂ©cialistes de la communication. Une seule ministre du numĂ©rique Ă©tait ingĂ©nieure.
Parce quâil est plus rassurant de copier que de crĂ©er, nous avons eu droit Ă un ersatz sans imagination de la Silicon Valley avec dix ans de retard. Et parce quâil est plus gratifiant de sâassocier au pouvoir Ă©conomique dominant, nos gouvernants ont prĂ©fĂ©rĂ© cĂ©lĂ©brer la rĂ©ussite technologique des plateformes amĂ©ricaines, plutĂŽt que de travailler d'arrache-pied Ă crĂ©er les nĂŽtres.
Ă cause de cette stratĂ©gie bancale, le gouvernement est passĂ© Ă cĂŽtĂ© de lâessentiel : savoir faire profiter Ă lâensemble des Français des fruits de la rĂ©volution Internet.
En deux quinquennats, lâinjection massive de capitaux publics nâaura permis quâĂ une petite caste de quelques dizaines de milliers de privilĂ©giĂ©s, quasiment tous issus de lâĂ©lite parisienne, de profiter Ă plein de la gĂ©nĂ©rositĂ© de l'Ătat.
Pendant quâau mĂȘme moment un numĂ©rique sans foi ni loi accĂ©lĂ©rait la transformation de lâautre France en livreurs, free-lance, et autres tĂącherons du clic corvĂ©ables Ă merci pour reprendre la dĂ©sormais cĂ©lĂšbre expression dâAntonio Casilli.
Car derriĂšre sa promesse initiale de rupture, la Start-Up Nation nâaura Ă©tĂ© que la continuitĂ© des dĂ©cisions prises lors de la prĂ©sidence Hollande. Ă lâĂ©poque dĂ©jĂ , rien nâavait Ă©tĂ© fait pour soutenir notre souverainetĂ© numĂ©rique. Bien au contraire! Ce quinquennat aura Ă©tĂ© le prĂ©curseur dâune politique de bras ouverts aux plateformes. Rappelez-vous des partenariats de lâĂducation Nationale avec Microsoft, Google, de lâEnseignement SupĂ©rieur avec Cisco, dont le prĂ©sident John Chambers a Ă©tĂ© nommĂ© lâambassadeur de la French Tech.
Le parcours du prĂ©sident de Cisco force le respect mais nây avait-il pas un Français pour faire le job ?
Au sein du Conseil national du numĂ©rique, jâai assistĂ© aux premiĂšres loges Ă ce glissement sans pouvoir inflĂ©chir quelque dĂ©cision que ce soit. Relire Ă ce sujet ma tribune pour Le Point Comment la France sâest vendue aux GAFAM.
Alors, que faire?
Dâabord construire un numĂ©rique plus Ă©quilibrĂ©:
- Un numĂ©rique dont lâobjectif est de nous extraire de la fĂ©odalitĂ© Ă©conomique des plateformes et qui nous permette dâinventer autre chose.
- Un internet apaisé, qui respecte notre intimité, n'utilise que trÚs peu de données personnelles ni de technologies de manipulation mentale.
- Un espace oĂč les enfants ne sont pas les proies des techniques sophistiquĂ©es de marketing, oĂč les populations ne sont pas constamment, par l'extrĂȘme granularitĂ© des rĂ©seaux sociaux, la cible dâopĂ©rations psychologiques.
- Un monde oĂč le dĂ©sĂ©quilibre affectif et le profilage agressif nâobligent pas en permanence les plus fragiles Ă sâendetter pour acheter des produits dont ils n'ont pas besoin.
- Un rĂ©seau qui facilite lâaccĂšs Ă la connaissance et au savoir, ce qui Ă©tait la promesse initiale de lâInternet avant la prise de pouvoir par les Big Tech.
Câest ce que jâappelle le Slow Web, une interzone qui existe entre lâInternet de la Chine et celui de la Silicon Valley.
Câest aussi l'idĂ©e dâun Internet europĂ©en des LumiĂšres.
Les seules start-up ne pourront pas construire cet Internet. Il faudra construire de nouvelles briques technologiques, amĂ©liorer et maintenir celles qui existent dĂ©jĂ . Remettre en cause certains choix rĂ©cents qui ont permis Ă une poignĂ©e d'entreprises de faire main basse sur les protocoles natifs de lâInternet (e-mail, chat, flux dâactualitĂ©sâŠ)
Il faudra aussi combattre lâidĂ©ologie des suprĂ©macistes numĂ©riques, qui pensent que les humains sont mieux « gĂ©rĂ©s » par des machines ou de lâintelligence artificielle. Cette idĂ©ologie, trĂšs en vogue chez une nouvelle gĂ©nĂ©ration de hauts fonctionnaires, qui se prennent pour des entrepreneurs, est responsable de nombreux dysfonctionnements, dâune gabegie dâargent public et dâune exposition de nos donnĂ©es personnelles Ă des acteurs non europĂ©ens.
LâĂtat nâest ni une plateforme, ni une Start-Up. Il est, comme la dĂ©mocratie, notre plus prĂ©cieux commun. Le numĂ©rique doit le rendre plus rĂ©silient, plus attentionnĂ©, voire plus humain. Ne le laissons pas entre les mains dâapprentis sorciers de la donnĂ©e.
Mais revenons Ă notre sujet, Ă savoir la Start-Up Nation
Les start-up resteront toujours un pari risqué.
Jâai toujours Ă©tĂ© un ardent dĂ©fenseur du modĂšle des start-up dont je connais les points forts et les limites pour en avoir Ă©tĂ© lâun des pionniers en France.
Câest pour cela que jâai Ă©tĂ© surpris par cette institutionnalisation des start-up par lâĂtat, fait unique en Europe. Elle a créé une importante normalisation des profils dâentrepreneurs et un paradoxe sur lâinvestissement de l'Ătat.
Les rebelles dans leur garage ont laissé leur place aux BDE et juniors entreprises des écoles des beaux quartiers qui citent du Elon Musk dans le texte.
Sâil est important de saluer la performance incroyable de nombreuses start-up françaises dans la compĂ©tition internationale, il ne faut pas sâĂ©tonner quâune grande partie de leur capital soit dĂ©tenue par des investisseurs Ă©trangers. Cela fait partie du jeu (une start-up est une mini-multinationale) et ne me dĂ©range pas dĂšs lors que lâon a mis en place les bonnes protections juridiques et techniques si elle exploite des donnĂ©es stratĂ©giques.
26 licornes, câest trĂšs bien. Mais lĂ aussi, gardons-nous de crier victoire trop tĂŽt. Il ne sâagit pour lâinstant que de valorisations Ă confirmer par un Ă©vĂ©nement liquide (introduction en Bourse, fusion ou acquisition). Dans cette cohorte, il est Ă©vident que certaines vont cartonner, certaines vont se vendre au plus offrant tandis que dâautres disparaĂźtront ou se feront racheter Ă la casse. La rĂ©cente absorption par lâallemand Gorilla du français Frichti montre que la consolidation du marchĂ© est dĂ©jĂ entamĂ©e.
Lâobjectif est de ne pas se transformer en Zombiecorn, c'est-Ă -dire en une licorne prisonniĂšre dâune valorisation trop Ă©levĂ©e avec une croissance qui ne leur permet plus de la justifier. Combien de boĂźtes françaises sont rĂ©ellement dans ce cas ? Nous l'apprendrons bien assez tĂŽt.
Dans ce contexte de compĂ©tition internationale, je nâai jamais compris pourquoi le gouvernement met une telle pression sur les entrepreneurs en sâimprovisant porte-parole des Licornes. MĂ©langer Politique et Start-Up me semble trĂšs contre-productif.
Cela me rappelle cet entretien il y a quelques annĂ©es Ă Davos avec un des conseillers dâAngela Merkel. Nous lui expliquions quâil fallait investir dans des milliers dâentreprises pour que quelques-unes puissent exploser et sâintroduire en bourse. Ce Ă quoi il nous a rĂ©pondu quâil ne souhaitait investir que sur celles qui Ă©taient sĂ»res de rĂ©ussir. Il nâavait rien compris de ce que nous lui avions expliquĂ© ! Ce jour-lĂ , jâai compris que le politique nâest aux cĂŽtĂ©s des entrepreneurs que lorsquâils ont du succĂšs. Dans la difficultĂ©, l'entrepreneur reste seul avec ses Ă©quipes et partenaires.
Car contrairement Ă ce que prĂ©tend CĂ©dric O dans sa communication hebdomadaire, devenir une licorne nâest pas une finalitĂ©. Câest bel et bien lâascension Ă un niveau de compĂ©tition encore plus fĂ©roce.
Peut-ĂȘtre oublie-t-il que le succĂšs des licornes nâa pas grand-chose Ă voir avec lâaction gouvernementale. Câest une tendance mondiale, y compris chez nos voisins allemands, anglais ou mĂȘme suĂ©dois qui, eux, nâont pas leur French Tech.
4 raisons favorisent la création de licornes :
- La premiĂšre est le mobile qui a offert des facilitĂ©s de distribution et paiement au niveau mondial comme jamais il nâen avait existĂ© auparavant.
- La seconde est le cloud qui a permis de soutenir lâhyper croissance des entreprises. Une sociĂ©tĂ© comme Snapchat a pu devenir un des 5 rĂ©seaux sociaux mondiaux en sâappuyant exclusivement sur le cloud de Google (et une facture annuelle de 2 milliards de dollars).
- La troisiĂšme est lâextrĂȘme efficacitĂ© des rĂ©seaux sociaux pour acquĂ©rir des clients. Ă tel point que les politiques qui se sont appropriĂ© ces techniques pour diffuser leurs idĂ©es ont quasiment tous Ă©tĂ© Ă©lus.
- Enfin, avec la politique de taux des banques centrales, il y a trop dâargent sur le marchĂ©. Aujourdâhui, en promettant des croissances Ă deux chiffres, les start-up sont devenues des valeurs trĂšs prisĂ©es. Mais cela ne durera pas Ă©ternellement.
Lâinvestisseur Robin Rivaton donne une analyse trĂšs intĂ©ressante sur le succĂšs des licornes en France.
CĂ©dric O oublie que la vraie force de la premiĂšre cohorte de licornes amĂ©ricaines (2009-2013), dont faisaient partie Uber et AirBnb, est dâavoir pu sâintroduire en bourse Ă un prix qui confirmait leur valorisation privĂ©e. Les licornes françaises le savent trĂšs bien. Elles vont devoir apprendre Ă Ă©voluer sur un marchĂ© europĂ©en trĂšs embouteillĂ© et bien moins mature quâaux Ătats-Unis.
La situation actuelle nâest pas sans rappeler la fameuse bulle de 2000, oĂč un nombre important dâentreprises Internet non technologiques, les fameuses Dot Com, atteignaient des sommets de valorisation et s'introduisaient en bourse sans ĂȘtre encore profitables, voire sans avoir de produit qui fonctionnait. Ă la fin de 2002, cinq mille milliards de dollars de valorisation disparaissaient en fumĂ©e, le NASDAQ perdait 78 % de sa valeur et Ă la fin 2004, la moitiĂ© des dotcoms avait mis la clĂ© sous la porte.
La possibilitĂ© que nous soyons dans une nouvelle bulle nâest pas Ă Ă©carter mais son Ă©clatement sera dĂ» Ă des raisons diffĂ©rentes.
En 2000, beaucoup de concepts Ă©taient arrivĂ©s trop tĂŽt. Les gens se connectaient encore avec modems et les outils de paiement simples nâexistaient pas encore.
En 2022 la question est avant tout une crise existentielle. RĂ©ussir Ă vendre ses produits ou ses services Ă une cohorte dâutilisateurs fidĂšles en France ne garantit en rien que lâon deviendra un leader mondial.
2022 sera dâailleurs un cas dâĂ©cole du dilemme dâinnovation de Clay Christensen.
Combien de solutions de banques, de paiements en magasin ou restaurant, de places de marchĂ© spĂ©cialisĂ© ou de services de livraisons le marchĂ© est-il capable dâabsorber ? Surtout quand lâAllemagne ou lâAngleterre en produit tout autant et dâaussi bonne qualitĂ©.
Il faudra faire attention au faux sentiment de succÚs lié à la pandémie et à l'accélération de certaines pratiques pendant le confinement.
Souvenez-vous de Clubhouse, lâapplication prĂ©fĂ©rĂ©e des confinĂ©s, qui peine dĂ©sormais Ă construire un trafic, maintenant que les restaurants ont rĂ©ouvert.
La pandĂ©mie a dâailleurs concentrĂ© ces deux derniĂšres annĂ©es lâĂ©quivalent de 10 ans de dĂ©penses technologiques. Tout le monde a rachetĂ© un Ă©cran, sa webcam, son abonnement Ă Zoom et il n'est pas sĂ»r que ce niveau de dĂ©pense se maintienne dans le futur. Câest ce quâexplique Albert Edwards, un des analystes star de la SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale, qui prĂ©dit un dĂ©crochage important des Big Tech et par effet de ricochet des Licornes.
Les marchĂ©s ont aussi fortement baissĂ© ces derniers mois. Ils traduisent une certaine forme de nervositĂ© sur lâavenir, comme si la pandĂ©mie marquait le dĂ©but de la fin dâune croissance folle. Le dĂ©but de lâĂšre Post Mobile.
Comme nous pouvons le constater, les prochaines annĂ©es seront loin dâĂȘtre un long fleuve tranquille.
Nous avons fait la moitié du chemin mais le plus dur reste à venir.
Notre stratĂ©gie numĂ©rique aurait dĂ» s'appuyer Ă la fois sur lâInternet des Ă©coles de commerces (la Start-Up nation) et sur lâInternet des dĂ©veloppeurs et des ingĂ©nieurs que jâappelle lâinfrastructure nation.
Ces deux Internet n'auraient pas dĂ» ĂȘtre opposĂ©s car ils sont complĂ©mentaires.
Ă partir de 2013, quand le secteur du numĂ©rique a commencĂ© Ă ĂȘtre dominĂ© par des profils issus des Ă©coles de commerce, une des consĂ©quences les plus visibles a Ă©tĂ© le glissement sĂ©mantique du terme âinnovationâ.
Il y a vingt ans, intĂ©grer une camĂ©ra minuscule dans un tĂ©lĂ©phone, ou transformer ce dernier en ordinateur Ă©tait considĂ©rĂ© comme de lâinnovation.
Aujourdâhui faire des couches-culottes bios ou de la livraison de nourriture en moins de quinze minutes suffit pour faire partie des entreprises « innovantes » du next 120.
L'Ă©norme majoritĂ© des licornes font dâailleurs partie de lâInternet des Ă©coles de commerce. Pour soutenir leur financement, lâĂlysĂ©e sâest transformĂ© en Banque d'affaires. Sâil sâĂ©tait aussi transformĂ© en CTO, il aurait pu jouer un rĂŽle central dans le dĂ©veloppement et le financement des outils numĂ©riques dont nous avons besoin pour nous Ă©manciper des grandes plateformes.
Malheureusement câest lâinverse qui a Ă©tĂ© fait. Avec la stratĂ©gie âCloud de Confianceâ, dĂ©sormais les Big Tech sâinvitent au cĆur de lâĂtat. Pour justifier ce choix extrĂȘmement critiquable, un ancien Ministre des Affaires ĂtrangĂšres, des Ă©conomistes et mĂȘme une ancienne directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy ont Ă©tĂ© appelĂ©s Ă la rescousse pour minimiser lâimpact de lâextraterritorialitĂ© du Cloud Act.
Je parle longuement de ce sujet dans un petit e-book : Lettre Ă ceux qui veulent faire tourner la France sur l'ordinateur de quelquâun dâautre.
Alors pourquoi ce choix constant des GAFAM plutÎt que des entreprises françaises et européennes ?
Un observateur avisĂ© du gouvernement mâen expliquait les diffĂ©rentes raisons :
DĂšs son dĂ©but de mandat, la doctrine officielle du gouvernement Macron a Ă©tĂ© de dire, travaillons avec les meilleurs, donc avec les GAFAM. Cette stratĂ©gie des âpremiers de cordĂ©eâ doit beaucoup Ă la proximitĂ© de certains de ses acteurs dans le jeu politique. Pas structurĂ©, mais aussi peu considĂ©rĂ©, lâenvironnement technologique français nâarrive pas Ă faire entendre sa voix. Pire, le monde du logiciel français a laissĂ© le gouvernement rĂ©pĂ©ter tout au long du quinquennat que la France Ă©tait en retard et quâil nây avait pas de solutions disponibles. Ce discours du âretard françaisâ aura eu des consĂ©quences importantes sur lâĂ©quipement cloud.
Ă de rares exceptions prĂšs, les start-up françaises les plus connues ont toutes fait le choix de se baser sur les technologies dâAmazon, Microsoft ou Google.

Au risque de choquer mon audience, je ne considĂšre pas quâune entreprise, Ă la diffĂ©rence de lâĂtat et de nos infrastructures stratĂ©giques, nâait de comptes Ă rendre sur le choix de sa « stack » logicielle. Le besoin de croissance, le niveau technique de son Ă©quipe, la disponibilitĂ© dâargent Ă dĂ©ployer pour aller vite sont souvent les raisons qui poussent Ă choisir les services de cloud managĂ©s amĂ©ricains.
Mais, dans le cas oĂč de lâargent public ou des fonds europĂ©ens sont investis (ce qui a Ă©tĂ© le cas pour un grand nombre dâentre elles) des conditions et des obligations auraient dĂ» ĂȘtre introduites.
Câest aussi Ă l'Ătat de stimuler une politique dâachat et de dĂ©finir une stratĂ©gie des donnĂ©es sensibles. Par exemple, la constitution de fiduciaires de donnĂ©es avec une gouvernance protectrice en cas de rachat dâune licorne par des intĂ©rĂȘts Ă©trangers aurait pu ĂȘtre envisagĂ©e. Ce modĂšle des fiduciaires de donnĂ©es pour les start-up sâinspire de ce que nous avons dans la presse : les sociĂ©tĂ©s de journalistes permettent de minimiser lâinfluence de l'actionnariat sur la partie Ă©ditoriale.
Car personne nâest capable au gouvernement de dire ce quâil se passerait si Doctolib se vendait Ă Amazon ou un autre acteur Ă©tranger. Dâun cĂŽtĂ©, un acteur privĂ© a le choix de se vendre Ă qui il souhaite D'un autre, une telle vente mettrait en pĂ©ril la stratĂ©gie vaccinale de la France. Peut-on confier une mission rĂ©galienne Ă un acteur Ă©tranger ? Que deviendraient alors les donnĂ©es de santĂ© des Français ?
La pandĂ©mie a ouvert la boĂźte de pandore de la souverainetĂ© numĂ©rique et a obligĂ© le gouvernement Ă changer sa stratĂ©gie et introduire la notion dâautonomie stratĂ©gique (pour ne pas avoir Ă utiliser le terme de souverainetĂ©).
La polĂ©mique du Health Data Hub, hĂ©bergĂ© chez Microsoft (voir ma prĂ©cĂ©dente newsletter) nous a ouvert les yeux sur un autre problĂšme, celui du coĂ»t de la rĂ©versibilitĂ© dâun projet cloud et la difficultĂ© de faire sortir les donnĂ©es en dehors dâune plateforme de cloud amĂ©ricain.
Ă toutes ces questions le gouvernement nâapporte que de maigres rĂ©ponses.
Mais la cerise sur le gĂąteau reste la dĂ©cision de la Cour de Justice de lâUnion europĂ©enne dâannuler le Privacy Shield (arrĂȘt Schrem II). Cette dĂ©cision a pris par surprise le gouvernement ainsi que toutes les entreprises qui hĂ©bergent leurs donnĂ©es chez les GAFAM et qui ne sây Ă©taient pas prĂ©parĂ© (ce nâest pas faute dâavoir tentĂ© de les alerter). Une vĂ©ritable roulette russe juridique et surtout, comme je lâexpliquais Ă certains entrepreneurs, une possible responsabilitĂ© pĂ©nale Ă la clĂ©.
Ce nâest Ă©videmment pas simple de trancher, mais ne rien faire aura Ă©tĂ© une faute.
Ă ma connaissance, aucun flĂ©chage souverain de lâargent public de la part de la BPI, de la caisse des dĂ©pĂŽts, des fonds europĂ©ens ou du gouvernement nâa Ă©tĂ© envisagĂ© Ă ce jour.
Sur la question des choix de technologie, le gouvernement et lâadministration ont raisonnĂ© comme des consultants qui Ă©valuent diffĂ©rentes solutions et non pas comme des bĂątisseurs. Nâest pas Mesmer qui veut.
Savez-vous quâen 1973, en plein crise pĂ©troliĂšre, le premier Ministre Pierre Messmer annonce Ă la tĂ©lĂ©vision le lancement dâun des plus grands programmes industriels de notre histoire ?
â MichaĂ«l Mangeon (@Mangeon4) December 10, 2020
Thread : Le plan Messmer, genÚse de la France #nucléaire
—ïžâ€”ïžâ€”ïž pic.twitter.com/mUh3fMNITs
Pour quâune majoritĂ© de start-up puisse choisir des solutions françaises, le gouvernement aurait dĂ» rĂ©unir l'ensemble des dĂ©veloppeurs europĂ©ens qui travaillent Ă s'Ă©manciper des GAFAM (quelques centaines dâentreprises et de codeurs) et soutenir massivement leurs initiatives.
Si nous avions fait cela dĂšs le dĂ©but de la pandĂ©mie, nous aurions pu disposer dâune version âbetaâ de cette infrastructure nation et porter cette vision Ă l'ensemble de nos partenaires europĂ©ens. Cela aurait pu devenir le plus important projet numĂ©rique depuis le rapport Bangemann sur les autoroutes de lâinformation (1993).
Fort dâun premier succĂšs national, le prĂ©sident Emmanuel Macron, lors de son discours dâintroduction de la PrĂ©sidence française de lâEurope du 19 janvier 2022 aurait alors pu positionner la France comme le fer de lance des non-alignĂ©s du numĂ©rique face aux Ătats-Unis et la Chine. Et pourquoi pas entraĂźner une dynamique avec de nouveaux alliĂ©s en Afrique, en Inde ou dâautres partenaires dans le reste du monde
Cela aurait âeu de la gueule", un peu comme le discours de la France Ă lâOnu avant la deuxiĂšme guerre dâIrak.
HĂ©las, la France va promouvoir sa stratĂ©gie dâalliance avec les GAFAM et la grande confĂ©rence sur la souverainetĂ© numĂ©rique organisĂ©e dans le cadre de la PrĂ©sidence française de lâEurope les 7 et 8 fĂ©vrier va donner la part belle aux patrons de Microsoft et lobbyistes de Google. Aucun des acteurs de cette stack dâĂ©mancipation europĂ©enne nâa Ă©tĂ© invitĂ© Ă y participer. Câest bien triste.
Construire la souveraineté numérique de l'Europe (PFUE)
â Tariq KRIM (@tariqkrim) January 31, 2022
Lecture entre les lignes:
- LâEurope ne peux rien sans les GAFAM
- Il faut revenir sur Schrems II
- Nous nâavons invitĂ© aucun des industriels europĂ©ens du cloud (mĂȘme pas âŠ@OVHcloudâ© ) https://t.co/771V99fk9o
Lâinfrastructure nation, un projet ambitieux, difficile Ă mettre en Ćuvre, mais pas infaisable.
Au-delĂ de lâoffre tentante de rejoindre lâOTAN numĂ©rique proposĂ© par Biden, il y a plusieurs raisons pour lesquelles ce gouvernement ne veut pas se lancer dans une âinfrastructure nationâ.
Tout d'abord, soutenir la âstack logicielleâ dâĂ©mancipation, c'est-Ă -dire lâensemble des briques technologiques nĂ©cessaires pour construire un numĂ©rique alternatif aux grandes plateformes, nâest pas quelque chose qui est rentable Ă court terme. Câest encore moins vendable en termes de communication.
Ensuite, personne nâest dâaccord sur ce quâelle doit ĂȘtre. Faut-il uniquement se focaliser sur le cloud (Big Data, IA, Stockage Souverain) ou faut-il aussi stimuler un ensemble d'alternatives pour les consommateurs (e-mail, chat, office) ?
La question reste ouverte, mais avec un peu de volontĂ© autour de la table il aurait Ă©tĂ© possible dâobtenir un consensus fort sur les briques essentielles Ă construire. On aurait pu par exemple investir 20 % de lâargent allouĂ© sur des projets totalement disruptifs et garder le reste pour consolider des briques techniques existantes et plus classiques.
Cette mise en Ćuvre permettrait dâavoir une couche technologique capable de rĂ©pondre Ă une trĂšs grande partie, voire la totalitĂ© de nos besoins. Mais il faut avoir une vision sur le long terme, une forte dose de crĂ©ativitĂ©, un peu de foi en lâavenir et beaucoup de courage⊠pas forcĂ©ment le point fort de nos gouvernants.
Trop dâhommes politiques ou de hauts fonctionnaires biberonnĂ©s aux ratios Ă©conomiques du secteur privĂ© nâont pas le modĂšle mental pour financer Ă perte des projets ou des briques de base technique sans retour financier direct et immĂ©diat.
Mais ils ignorent souvent que ces briques de base que nous sommes plusieurs Ă dĂ©velopper aujourdâhui seront le catalyseur de la prochaine vague technologique. Il suffit de regarder toute lâactivitĂ© liĂ©e au WEB3. Au-delĂ du buzz, une vĂ©ritable infrastructure technique a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e Ă partir de rien. Elle attire dâailleurs pour ces raisons les meilleurs dĂ©veloppeurs.
Rappelons que les GAFAM et les licornes nâexistent que parce que des gens ont investi sans retour financier direct depuis 50 ans dans lâarchitecture technique de lâInternet, dans Linux, le Web et des milliers de librairies de logiciel libre. Ă tel point que lâon dĂ©couvre parfois, Ă lâinstar de log4j, quâun composant nĂ©vralgique de sĂ©curitĂ© de lâInternet est en fait maintenu bĂ©nĂ©volement par un dĂ©veloppeur sur son temps libre !

Câest pour cela que la prochaine bataille du contrĂŽle et de la libĂ©ration de lâInternet passe avant tout par la crĂ©ation de logiciel, avant la rĂ©gulation et la gĂ©opolitique.
Câest aussi pour cela que les grandes plateformes amĂ©ricaines et le dĂ©partement dâĂtat amĂ©ricain tentent dâĂ©touffer lâinnovation disruptive dans le logiciel en Europe. Parce que nous avons encore les moyens humains de âcoderâ une alternative Ă ce qui existe aujourdâhui et faire pencher la balance.
Enfin la derniĂšre raison, et la plus justifiable, est que nous sommes dĂ©savantagĂ©s en lâEurope par nos rĂšgles de concurrence qui nous empĂȘchent de subventionner directement nos entreprises.
Aux Ătats-Unis, lâastuce a longtemps consistĂ© Ă faire passer ces dĂ©penses dans le budget de la dĂ©fense, pour ĂȘtre ensuite recyclĂ©es dans le civil. GAFAM, Silicon Valley, labos de recherche et universitĂ©s auront largement bĂ©nĂ©ficiĂ© des dizaines de milliards de dollars de contrats ou de subventions du Pentagone ou de la DARPA. On parle alors de technologies duales. IsraĂ«l, la vraie âStart-Up nationâ utilise lâarmĂ©e ou les services de renseignements comme incubateur financier de leurs futures technologies.
En Chine, la question ne se pose mĂȘme pas. Besoin dâune nouvelle usine pour construire des composants de nouvelle gĂ©nĂ©ration ? Les milliards nĂ©cessaires sont investis sans mĂȘme sourciller.
En effet, grĂące Ă un rĂ©gime juridique ancien qui a survĂ©cu Ă la rĂ©forme Ă©conomique de Deng Xiaoping, la Chine dispose d'outils pour investir des milliards d'euros dans des entreprises d'Ătat qui sont ensuite parfois privatisĂ©es au profit de l'Ă©lite du Parti Communiste. L'intervention publique et l'intĂ©rĂȘt privĂ© se rejoignent ainsi pour produire les nouveaux champions nationaux. Câest par lâintervention personnelle de Masayoshi Son, patron dâARM qui a acceptĂ© lâautonomie de sa filiale chinoise, que la Chine peut dĂ©sormais contourner TMSC, principal constructeur taĂŻwanais de puces.
En France on broie lâInternet des dĂ©veloppeurs dans des appels Ă projets aux processus bureaucratiques sans fin. En obligeant des ingĂ©nieurs dâexception Ă faire Ă©quipe avec d'autres acteurs mĂ©diocres au sein de consortiums interminables pour obtenir les d'investissements de lâEurope. Cette stratĂ©gie ne peut accoucher que de produits insipides, voire pires. Parfois quelques dizaines de milliers dâeuros suffiraient pour terminer un projet ; parfois permettre Ă une poignĂ©e de dĂ©veloppeurs gĂ©niaux de se focaliser sur un problĂšme pendant un ou deux ans suffirait pour obtenir des rĂ©sultats incroyables.
Prenons le cas dâune alternative souveraine Ă Office 365. Cela fait dix ans que jâentends parler de cela. Des dizaines de financements de l'Europe y ont Ă©tĂ© consacrĂ©s.
Mais dans la rĂ©alitĂ©, la majoritĂ© des applications de travail collaboratif dites souveraines en France sâappuient sur Only Office, un logiciel créé par une sociĂ©tĂ© russe Ă©tablie en Lettonie.

Bercy se prĂ©pare dâailleurs Ă financer prochainement un nouvel appel Ă projet. Certains y voient une tentative de rassurer, Ă quelques mois des Ă©lections, un Ă©cosystĂšme français extrĂȘmement inquiet de lâarrivĂ©e des GAFAM et de leurs suites bureautiques au sein de lâĂtat.
Il est donc impĂ©ratif de changer la maniĂšre de fonctionner, sinon ce sera de lâargent jetĂ© par les fenĂȘtres.
Par exemple, sur la solution Only Office, pourquoi nâavons-nous pas investi directement dans la sociĂ©tĂ© qui produit le logiciel ? En lui demandant de rĂ©aliser toutes les modifications nĂ©cessaires, et de former des ingĂ©nieurs français pour participer Ă son amĂ©lioration. Tout en investissant dans les autres Ă©diteurs Web libres pour complĂ©ter lâoffre concurrentielle.
PlutĂŽt que dâobliger lâĂ©cosystĂšme de travail collaboratif Ă montrer un dossier de financement, nâaurait-il pas Ă©tĂ© plus judicieux pour la Direction GĂ©nĂ©rale des Entreprises de mettre tout de suite 20 millions sur la table pour prĂ©-acheter de produits de bureautique et leur permettre de faire dâavancer plus rapidement leurs produits ?
Bercy dit que câest impossible Ă cause des traitĂ©s internationaux. Mais il existe deux exceptions qui pourraient ĂȘtre utilisĂ©es, l'exception culturelle (le logiciel est une Ćuvre dâauteur) et lâexception de DĂ©fense nationale.
AprĂšs tout, le MinistĂšre de la dĂ©fense amĂ©ricain a bien dĂ©pensĂ© les 10 milliards qui ont permis Ă Amazon de dĂ©velopper lâensemble des fonctionnalitĂ©s qui lui permettent de dominer le marchĂ© europĂ©en.
Enfin, il faudra se poser sĂ©rieusement la question du financement des start-up technologiques créées en France, domaine que je connais bien avec Netvibes et Jolicloud. Elles prĂ©fĂšrent Ă raison partir aux Ătats-Unis oĂč on saura les traiter et les faire grandir avec respect. Des pĂ©pites comme Algolia, Dataiku ou encore Snowflake lâont bien compris. Elles ne font plus partie de la liste des licornes françaises.
Ceci nâest pourtant pas une fatalitĂ©, avec une bonne politique dâaccompagnement, des Ă©coles qui produisent 50 000 ingĂ©nieurs bien formĂ©s tous les ans, le crĂ©dit impĂŽt recherche, la France aurait dĂ» ĂȘtre depuis longtemps un paradis pour dĂ©veloppeurs.
Mais le principal problĂšme est ailleurs.
La Start-Up nation, une communication volontairement anhistorique ?
âanhistorique (adjectif) : Qui ne tient pas compte du point de vue historique.â Larousse

George Orwell Ă©crivait dans 1984 que âcelui qui a le contrĂŽle du passĂ© a le contrĂŽle du futurâ. La richesse de lâhistoire numĂ©rique française et europĂ©enne nâest plus connue de la jeune gĂ©nĂ©ration. Le seul modĂšle repris en chĆur par les mĂ©dias est celui du startupeur sorti dâĂ©cole de commerce. Or, revisiter notre passĂ© permettrait de changer nos modĂšles.
Tout jeune jâai Ă©tĂ© bercĂ© par les exploits de hackers amĂ©ricains et europĂ©ens, dâentrepreneurs de la Silicon Valley mais aussi français. Lâhistoire de lâInternet, avant lâarrivĂ©e du duopole Iphone, Android est pourtant passionnante. Chaque annĂ©e je donne un cours Ă Science Po pour un ami sur les origines culturelles de la Silicon Valley et je suis fascinĂ© par la curiositĂ© des Ă©tudiants qui semblent dĂ©couvrir un nouveau pan de lâhistoire.
Lâhistoire de lâInternet et de la technologie est avant tout une histoire culturelle, une rĂ©bellion contre le systĂšme, financĂ©e par le DĂ©partement de la DĂ©fense. Câest aussi lâhistoire dâune dystopie qui sâest longtemps cachĂ©e derriĂšre un discours optimiste. Tout ce qui nous arrive avec les grandes plateformes et lâintelligence artificielle Ă©tait dĂ©jĂ craint par les vĂ©ritables pionniers de ces disciplines.
Lâactuel gouvernement surfe sur cette mĂ©connaissance du grand public lorsquâil rĂ©pĂšte Ă qui veut lâentendre quâ« avant eux, il nây avait rien».
Conclusion de tout ceci? Mitterrand a institutionnalisé le Rap.

Ce gouvernement aura institutionnalisé la start-up, en lui enlevant son énergie de rébellion technologique et créative pour en faire un business comme les autres.
La suite au prochain Ă©pisode. Merci de mâavoir lu jusquâici.