Lâavenir de la Tech : les PME technologiques
Lâavenir de la Tech, ce ne sont pas les licornes, mais les PME technologiques.
Il est grand temps de rĂ©flĂ©chir Ă lâaprĂšs Startup Nation pour construire quelque chose de pĂ©renne, socialement acceptable et capable dâamplifier la valeur Ă©conomique dans un secteur oĂč la France devrait ĂȘtre leader : la Tech.
Retour dâexpĂ©rience : La gĂ©nĂ©ration Web 2.0
Jâai fait partie de la gĂ©nĂ©ration dâentrepreneurs du Web 2.0 du milieu des annĂ©es 2000 qui a essuyĂ© les plĂątres en France.
Avec Netvibes, nous avons fait lâinverse de ce qui se faisait. Des investisseurs Ă©trangers (dont Marc Andreessen) pour un projet international avec une Ă©quipe choisie pour ses compĂ©tences produit ou design, pas ses diplĂŽmes.
Notre playbook, qui consistait à garder la R&D en France et à ouvrir une antenne dans la Silicon Valley, a été repris depuis par de nombreuses startups.
Avec Netvibes et Jolicloud, nous nous sommes retrouvĂ©s Ă deux reprises en compĂ©tition avec Google. (Mistral se retrouve dans une position similaire 15 ans plus tard). Mais nous nâavions reçu aucune aide ni soutien du gouvernement.
Une mission pour aider les générations suivantes
Câest pour que la gĂ©nĂ©ration suivante ne se retrouve pas dans la mĂȘme situation que jâai acceptĂ© une mission du gouvernement de François Hollande pour soutenir lâinnovation en France.
Lors de cette mission confiĂ©e par le Premier ministre et Fleur Pellerin sur ce qui ne sâappelait pas encore la French Tech, je propose de mettre le paquet sur les dĂ©veloppeurs et la crĂ©ation de logiciels. On est au tout dĂ©but du Cloud et du SaaS.
Une des choses que jâai comprises en lançant Netvibes, câest que le talent informatique est partout en France, pas seulement dans les grandes Ă©coles prestigieuses.
Mais pour que lâon puisse se battre Ă armes Ă©gales dans la compĂ©tition mondiale, je me suis aussi investi pour le visa talent qui permette aux entrepreneurs de recruter la meilleure Ă©quipe possible.
Les limites de la Startup Nation
Le petit groupe dâĂ©narques qui lance coup sur coup la French Tech, la BPI et la Startup Nation (terme empruntĂ© aux IsraĂ©liens) va adopter une approche diffĂ©rente et plutĂŽt Ă©litiste.
Avec le bilan mitigĂ© que lâon connaĂźt aujourdâhui.
Le principal succÚs sera la multiplication de projets de startups en France. Mais essentiellement chez les acteurs les plus privilégiés et surtout à Paris. La banlieue, la ruralité et la péri-urbanité en sont écartées.
Beaucoup dâargent public va ĂȘtre mobilisĂ© dans le numĂ©rique (on parle de 30 milliards), mais sur des projets semi-technologiques et en renforcement des tropismes classiques de la tech française : lâe-commerce, les places de marchĂ© et les produits de livraison rapide.
La principale innovation de cette sĂ©quence technologique, câest dâavoir profitĂ© dâun droit du travail flexible pour ubĂ©riser les banlieues pour faire grandir rapidement certaines startups en licorne. Mais souvent au prix dâune faible valeur technologique inhĂ©rente.
Heureusement il y a aussi des projets technologiques dans le SaaS, les applications, le cloud, la cybersĂ©curitĂ© et la crypto capables de rivaliser Ă lâinternational.
Le rendez-vous ratĂ© de la Startup Nation, câest que les projets trĂšs techniques et complexes, câest-Ă -dire ceux qui sont potentiellement les plus crĂ©ateurs de valeur, ne sont pas compris par le politique et boudĂ©s par les investisseurs français.
La France passe Ă cĂŽtĂ© du Cloud, du edge et des outils de la souverainetĂ© faute dâinvestissements massifs. (ConsĂ©quence : nous importons 20 milliards de Tech lâannĂ©e derniĂšre)
Les effets injustes sur la société française
La startup nation change aussi la France.
Pendant que les prĂ©tendants Ă la licornisation ubĂ©risent les banlieues et Ă©merveillent les CSP+ des grandes villes, les gĂ©ants de lâe-commerce et des rĂ©seaux sociaux dominent les zones pĂ©riurbaines, les vĂ©ritables mal logĂ©s du numĂ©rique.
La tech pure, le code, nâa pas trop la cote, sauf dans lâintelligence artificielle qui est perçue Ă tort comme une discipline de cols blancs surdiplĂŽmĂ©s.
Alors quâon sait que des bons profils en informatique (cols bleus) sont aussi capables de monter des boĂźtes dâIA. Il suffit de regarder le profil de Jonathan Ross ou Sam Altman aux US.
Lâheure du bilan
Nous avons désormais 10 ans de visibilité sur la stratégie French Tech et une chose est déjà sûre : le modÚle des licornes ne peut plus marcher en France pour trois raisons :
1. Les licornes françaises : un modÚle fragile
Une partie des « licornes » en France sont des entreprises sur une niche Ă©conomique, une rente ou un service que lâĂtat ne sait plus fournir (ex : rendez-vous mĂ©dicaux pendant la covid). Souvent franco-françaises avec quelques positions en Europe, elles sont rarement rentables. Elles survivent grĂące Ă la volontĂ© politique.
Avec le recul, si on les avait financĂ©es comme des grosses PME, elles auraient pu croĂźtre avec les outils classiques du private equity. Elles subissent une pression intenable pour justifier leur valorisation dans un environnement Ă©conomique dĂ©gradĂ©. Cela ne doit pas ĂȘtre facile.
2. Les entreprises de pointe un destin international inéluctable
Les entreprises de pointe et de technologies Ă forte croissance (les vraies licornes) sont vouĂ©es Ă devenir amĂ©ricaines ou cotĂ©es aux Ătats-Unis. Câest comme cela. Ce sera certainement le destin de sociĂ©tĂ©s comme Mistral dont la sortie est aux US au NASDAQ.
3. Les PME technologiques : le ciment de la souveraineté numérique
Les PME technologiques, qui sont le ciment de la souverainetĂ© numĂ©rique de lâEurope, sont les seules sur le long terme capables de gĂ©nĂ©rer de la valeur Ă©conomique en vendant dans le monde entier. Ă condition de les considĂ©rer avec toute lâattention quâelles mĂ©ritent.
Les sociĂ©tĂ©s de logiciels libres, de services de cloud et de cybersĂ©curitĂ© ont Ă©tĂ© les grandes oubliĂ©es du premier quinquennat dâEmmanuel Macron, mĂȘme si Bercy essaye depuis peu de rectifier le tir, soyons honnĂȘtes.
Lâavenir de la Tech, ce ne sont pas les licornes, mais les PME technologiques.
Solidarité entre secteurs et soutien à l'innovation
Mais pour que cela marche, il faut une vĂ©ritable solidaritĂ© des entreprises des autres secteurs dâactivitĂ©. Les aides dâĂtat et la commande publique ne suffisent pas Ă soutenir ces entreprises qui ont besoin de clients locaux pour sâaiguiser Ă la compĂ©tition internationale.
Il faut que les entreprises des autres secteurs dâexport (luxe, agriculture, automobile, aĂ©ronautique,âŠ) jouent le jeu et achĂštent Ă ces PME technologiques.
Car lorsquâon tente de rĂ©guler les GAFAM (ce que Bruno Le Maire a essayĂ©), les Ătats-Unis rĂ©pliquent immĂ©diatement en menaçant dâune taxation des vins et de lâagriculture, etc.
La décision est rarement tranchée en faveur du numérique, mais au nom de quoi faudrait-il sacrifier la Tech au profit des industries traditionnelles ?
Ăa doit ĂȘtre le rĂŽle de lâĂtat que de crĂ©er les conditions pour que les industries traditionnelles (agriculture, automobile, luxe, dĂ©fense, âŠ) soutiennent la tech europĂ©enne pour lui permettre dâatteindre la vitesse dâorbite quâelle mĂ©rite.
L'Ătat doit aussi montrer l'exemple en achetant du logiciel amĂ©liorable par la commande publique.
Câest tout Ă fait Ă la portĂ©e de la France qui a Ă©tĂ© largement impliquĂ©e dans les deux technologies les plus importantes de lâInternet : le web et Linux. Avec la nouvelle Ăšre post-mobile qui dĂ©marre, nous avons toutes nos chances.
Mais pour cela il faut retirer la disquette « startup nation », se retrousser les manches pour crĂ©er une nation qui sâappuie sur un terroir de PME technologiques avec des produits de pointe et capables dâexporter dans le monde entier.
Conclusion : Un avenir ancré dans un terroir technologique aux parts de marché internationales
Un avenir plus ancrĂ© dans le local, dans lâexpertise de haut niveau, dans lâexportation dâune vision humaniste et apaisĂ©e du numĂ©rique, que le reste du monde saura aussi apprĂ©cier.
PS : Avec en bonus la possibilité de réduire notre déficit du commerce extérieur.
à méditer.