🔴 Start-up : acteur de la contre-culture ou prétendante à l’establishment ?

🔴 Start-up : acteur de la contre-culture ou prétendante à l’establishment ?

Aux États-Unis, il y a deux choses qui font avancer la “Tech” : la première, l’évolution des technologies fondationnelles : mini-ordinateur, micro-informatique, web, cloud, mobile, IA…, et l’autre, la tension permanente entre contre-culture et culture corporate.

C’est à mon avis le moteur d’innovation le plus important, et curieusement, celui qu’aucun pays européen (notamment la France) n’a voulu importer.

J’en sais quelque chose : pour moi, Netvibes et Jolicloud appartenaient aux start-up de la contre-culture du Web 2.0, et nous étions bien seuls dans un monde où la technologie était toujours alignée avec le prêt-à-penser du moment.

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Cette tension s’est incarnée dans des duels structurants : Fairchild vs Shockley Semiconductor, Apple vs IBM, Nvidia vs Intel, Google vs Microsoft, Mozilla vs Internet Explorer, (d’une certaine manière Jolicloud vs Chromebook).

Les start-up ne sont pas juste là pour offrir un nouveau produit ou construire des EBITDA out of thin air, elles sont aussi là pour amener une vision et une façon d’utiliser la technologie différente.

Quand on regarde l’histoire de la Silicon Valley, on se rend compte que la contre-culture, et ce que l’on appelle la contre-culture, change avec les décennies.

  • Dans les annĂ©es 50 60, la disruption, c’est de sortir la R&D des grands groupes et dĂ©montrer que construire des transistors, et plus tard des microprocesseurs, en dehors des grandes structures allait changer la façon dont le monde existe.
  • L’idĂ©e qu’une petite entreprise ait la capacitĂ© de construire des produits qui, normalement, auraient dĂ» faire partie des grands laboratoires comme Bell Labs Ă©tait stupĂ©fiante. Et nĂ©cessaire, puisque la rĂ©duction des coĂ»ts est plus simple quand on n’a pas beaucoup d’ingĂ©nieurs ni de capital, que dans les grands centres de recherche avec des contrats pluriannuels.
  • C’est un modèle qu’adoptera d’ailleurs la micro-informatique, qui, faut-il le rappeler, dĂ©marre en France.
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On l’oublie trop souvent, mais la première start-up de micro-informatique (1973) est la société de François Gernelle, R2E, dont la vision est fondamentalement différente de celle qui sera ensuite développée aux États-Unis (1975). Aux États-Unis, les ordinateurs sont vendus en kit, par correspondance, pour les amateurs.

François Gernelle construit un produit complet, finalisé, un produit artisanal dans sa conception, durable, puisque les Micral vont rester pendant près de 20 ans dans les paysages français sans aucun problème technique.

C’est Steve Jobs qui comprend qu’il existe aussi un marché pour vendre un produit fini. Son choix, lui qui était amoureux de la marque Cuisinart (et du Minitel), est de fabriquer les ordinateurs comme des produits de consommation courante, en plastique, et dans un modèle de fabrication en masse.

usine de fabrication des Apple /// qui seront pour beaucoup défecteux.

Un paradoxe avec sa formation culturelle très mystique, qui s’appuie sur l’idée que l’ordinateur est avant tout un outil d’émancipation.

Pourtant, c’est un autre entrepreneur légendaire qui mettra en œuvre cette idée d’un ordinateur pour chaque foyer : Jack Tramiel, survivant de l’Holocauste, businessman de génie (il sera le créateur de l’Atari ST, qui reste à ce jour ma machine préférée), inondera le marché d’une machine bon marché et incroyablement versatile : le Commodore 64.

C’est aussi à ce moment-là que je me rends compte que la vision d’une contre-culture idéologique ajoute du romantisme à un secteur, mais qu’à la fin, ce sont souvent des produits de consommation courante qui sont achetés par le grand public.

C’est une danse qui va se répéter avec les débuts de l’Internet.

Le moteur idéologique de l’Internet, c’est la contre-culture de San Francisco. Mais la plupart des entrepreneurs du monde de la tech de l’époque s’en servent pour faire des produits standard.

Que l’on fasse des produits hardware ou software, le terreau de cette contre-culture est très utilisé, y compris pour vendre des produits idéologiquement neutres, voire opposés aux valeurs de la contre-culture du réseau.

Dès l’arrivée du e-commerce et de ce que l’on va appeler les dot-com (pour ne pas les confondre avec les start-up qui font, elles, de la technologie, comme par exemple WebTV), on construit des outils et des services classiques.

La version de Sony ( Web TV s'est vendue Ă  Microsoft) chez Sun je travaillais sur un "concurrent"

Mais au-delà de la facilité d’usage (qui n’était pas garantie à l’heure des modems), il n’y avait pas beaucoup d’arguments de vente. Ces produits échoueront en masse.

Le seul à avoir compris cela, c’est Amazon, qui décide, au-delà de la valeur de son site de e-commerce, de construire un processus complet pour simplifier la vie des gens.

Dès 1996, Amazon est largement au-dessus du lot, mais surfe aussi sur l’idée d’un village global où le monde entier a accès à la connaissance (les livres).

Se faire livrer des livres en France depuis Amazon, à cette époque, ressemble à un acte de résistance. Une contre-culture, d’une certaine façon.

l'une des première version du site.

Évidemment, beaucoup de choses ont changé depuis.

Quand le Web devient standardisé et sans âme, surtout avec la mainmise d’Internet Explorer, qui transforme l’innovation du Web en ère glaciale, la nouvelle contre-culture sera celle du Web 2.0.

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C’est celle dont j’ai fait partie avec Netvibes et Jolicloud : redonner à tous les pouvoirs de création, de promotion, de vente, de distribution ou de contenu (user generated content) normalement réservés aux grands groupes.

Cette vision ne durera pas longtemps.

Les services clés sont achetés, absorbés, monétisés. Le Web 2.0 va lui-même donner naissance au mobile et au cloud, mais aussi aux GAFAM, qui vont profiter du contrôle des codes culturels pour devenir une forme de contre-culture corporate.

C’est l’époque où un ingénieur chez Facebook s’appelle un hacker, où Google reprend les codes de Burning Man pour amadouer les critiques, et où le metaverse l’hallucination collective de Gibson et Stephenson devient un espace corporate dénaturé.

Le Web3 tentera aussi de se créer sur une vision de la contre-culture des cypherpunks, mais se heurtera à la culture de l’argent très affichée, et à l’absence de produits grand public (à part, évidemment, le wallet).

La tech américaine est donc constamment dans une double lutte : disrupter ou commoditiser. C’est ce qui la fait avancer.

Mais curieusement, en Europe, cette tension n’existe pas.

D’ailleurs, dès qu’on a un produit qui, entre guillemets, veut changer le monde ou transformer les usages, il est évident qu’il faut d’abord aller aux États-Unis. Parce que c’est là que tout se fait et que l’on peut profiter de cette tension contre-culture / establishment, même si le produit n’a pas été imaginé dans la Vallée.

En Europe, évacuer l’aspect culturel fait qu’on ne finance que des produits rentables, et qu’on ne se positionne que sur des services compris ou faits ailleurs. Le risque contre-culturel du changement technologique reste assez peu développé, je crains.

Mais cela change.

L’idée de respecter la vie privée, et de construire des produits qui ne tentent pas de manipuler les utilisateurs, est désormais une forme de contre-culture.

Qui, aujourd’hui, selon vous en Europe, assume vraiment une posture de contre-culture technologique ?

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