🔴 Les artisans de l’impensé

Réflexions sur l’impossibilité de l’impossible

🔴 Les artisans de l’impensé

De l’impensable à l’impensé

Lors d’un point presse au département de la Défense des États-Unis, le 12 février 2002, Donald Rumsfeld a déclaré « Les rapports qui affirment que quelque chose ne s’est pas produit sont toujours intéressants pour moi, car, comme nous le savons, il y a les choses que nous savons que nous savons. Nous savons aussi qu’il y a des choses que nous savons ne pas savoir. Mais il y a aussi les choses que nous ne savons pas que nous ne savons pas. »

Donald Rumsfeld unknown unknowns speech

Cette déclaration est devenue emblématique des discussions sur l’incertitude et la gestion des risques. Le choix de son auteur n’est pas un hasard, vous allez le comprendre un peu plus loin.

Mais revenons un instant sur la dualité qui m’anime : d’un côté l’impensable et de l’autre l’impensé.

- L’impensable reste dans le champ cognitif connu : c’est ce qui dépasse nos cadres de pensée actuels mais qui reste formulable, même si cela semble impossible ou absurde.
- En revanche, l’impensé désigne ce qui n’a pas encore été exploré, souvent parce que cela ne s’est pas imposé comme une nécessité ou que les structures intellectuelles ne l’ont pas encore intégré.

  • Que se passe-t-il si les États-Unis, alliĂ©s historiques de l’Europe, s’allient avec la Russie ?
  • Que se passerait-il si, demain, un pays comme la France Ă©lisait un prĂ©sident ou une prĂ©sidente capable de renverser totalement la position de la France dans l’Europe?

D’une certaine manière, dans le numérique, l’un des impensés qui a suscité le plus de débats, c’est le changement brutal de la position des réseaux sociaux : s’ils ont démarré en soutenant les révolutions arabes et iraniennes, au point de devenir les chouchous des mouvements progressistes, ils sont désormais les principaux champions des “fake theories” et d’une volonté plus ou moins assumée de renverser les démocraties libérales d’Europe.

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La “toolbox” des politiques et des think tanks n’est pas équipée pour traiter de l’impensé (et assez mal de l’impensable aussi).

L’année dernière, lors de la première édition du Strategic and Defense Forum, dans le panel que je modérais sur la désinformation, Christian-Marc Lifländer de l’OTAN évoquait la période que nous vivons dans l'unwar, un état entre la guerre et la paix.

Aujourd’hui, on pourrait parler de Slider Geopolitics, en référence à la série Sliders (1995), où les héros naviguaient d’univers parallèles en univers parallèles avec des mondes inversés politiquement.

Dans un épisode culte (The Weaker Sex, 3 mai 1995), la série Sliders imaginait un monde parallèle où Hillary Clinton était présidente.

Curieusement, la seconde édition du Strategic Defense Forum a délaissé ces sujets pour revenir à des thématiques moins «disruptives». Dommage!


Il n’est pas possible de parler de Donald Rumsfeld sans évoquer les néoconservateurs américains des années 70 et un des cas d'école en matière de désinformation qui inspirent ce que nous vivons aujourd'hui: la Team B.

Si de nombreux films d’espionnage des années 70 en suggéraient l’existence, c’est la série The Power of Nightmares d’Adam Curtis, produite par la BBC, qui l’explore avec le plus de clarté.

Ce documentaire trace un parallèle saisissant entre les néoconservateurs et les islamistes radicaux, tous deux nés aux États-Unis dans les années 50.

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On dit souvent que pour gagner la guerre froide, les États-Unis ont mené des campagnes d’intoxication contre les Soviétiques — notamment avec le projet Guerre des étoiles. Mais, comme souvent, la réalité est bien plus complexe qu’il n’y paraît.


Il faut comprendre comment cela est devenu la matrice idéologique de la nouvelle administration américaine.

De la Team B à Trump : l'héritage d'une doctrine de manipulation géopolitique

Donald Rumsfeld avec Gerald Ford

Qu'est-ce que la Team B


Créée sous l’impulsion de Donald Rumsfeld, alors chef de cabinet de Gerald Ford, la Team B était composée de néoconservateurs comme Richard Pipes et Paul Wolfowitz. Elle avait pour mission de contester les évaluations jugées trop modérées de la CIA sur l’URSS.

Ses rapports, fondés sur des hypothèses plutôt que sur des preuves, affirmaient que :

  • l’URSS disposait d’armes secrètes et prĂ©parait une première frappe nuclĂ©aire
  • la CIA sous-estimait systĂ©matiquement la menace soviĂ©tique
  • un rĂ©armement massif des États-Unis Ă©tait indispensable pour Ă©viter une catastrophe.

Ces conclusions, bien que largement contredites par les faits, ont profondément influencé Ronald Reagan, qui lança en 1983 l’Initiative de défense stratégique (SDI), un programme spatial censé protéger les États-Unis d’une attaque nucléaire.

Quand la Science-Fiction pousse l'URSS Ă  l'effondrement

Strategic Defense Initiative (SDI)

Le SDI, annoncé par Ronald Reagan en 1983, incarne l’influence directe de la science-fiction sur la stratégie militaire américaine. Ce bouclier antimissile spatial, surnommé “Star Wars” comme le film, puise plutôt ses inspirations chez des auteurs comme Robert A. Heinlein, Jerry Pournelle et Larry Niven.

Heinlein, auteur de Starship Troopers et fervent défenseur de la militarisation de l’espace, a popularisé l’idée d’une suprématie technologique orbitale. Auteur favori d’Elon Musk, il a influencé des penseurs comme Pournelle et Niven qui, à travers le Citizens’ Advisory Council on National Space Policy, ont transformé ces visions de science-fiction en « recommandations concrètes » pour l’administration Reagan.

Le SDI promettait un bouclier spatial capable de neutraliser des missiles soviétiques grâce à des satellites capables de réfléchir des lasers émis depuis le sol. Techniquement irréalisable, le projet a néanmoins eu un impact psychologique majeur :

  • Il a poussĂ© l’URSS Ă  intensifier ses dĂ©penses militaires, prĂ©cipitant son effondrement Ă©conomique.
  • Il a servi de levier de propagande pour asseoir la supĂ©rioritĂ© technologique amĂ©ricaine.
  • Il a justifiĂ© une explosion durable du budget militaire amĂ©ricain, dont a largement bĂ©nĂ©ficiĂ© la Silicon Valley — au moins autant que du boom de l’ordinateur personnel.

Une stratégie dont nous allons voir l’écho résonner dans les deux mandats de Donald Trump.

Comment Trump réactive le playbook de Team B cette fois contre la Chine et le deep state ?

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