Avant-garde numérique

Cybernetica propose une autre vision du numérique pour se préparer au futur qui se dessine (géopolitique, nouvelles conflictualités, IA, cultures synthétiques, économie post-données).

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🔴 16 révélations sur TikTok suite aux documents dévoilés par NPR

🔴 16 révélations sur TikTok suite aux documents dévoilés par NPR

NPR s’appuie sur des documents internes non caviardés de TikTok, qui ont été accidentellement dévoilés lors d’une poursuite judiciaire menée par le procureur général du Kentucky.

Ces documents faisaient partie d’une enquête de plus de deux ans menée par 14 procureurs généraux concernant la sécurité des enfants sur la plateforme TikTok. Les documents, qui incluent des communications internes, des études et des rapports internes de TikTok, révèlent que l’entreprise était consciente des effets négatifs de l’application sur les adolescents, notamment en matière de santé mentale et de dépendance .

Ces documents ont été brièvement accessibles au public après une erreur dans le processus de caviardage, permettant à Kentucky Public Radio de révéler des extraits non censurés. NPR a ensuite pu consulter ces documents avant qu’une décision de justice ne scelle à nouveau le dossier .

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🟢 Il faut rendre la Tech à la Tech.

🟢 Il faut rendre la Tech à la Tech.

Je défends un projet différent pour le numérique.

Une alternative au modèle actuel qui n'a pas su bâtir des fondations technologiques durables pour un renouveau technologique.

L’urgence est réelle. Avec un déficit de 3000 milliards, la création de valeur logicielle, la plus rapide à générer, devrait être la priorité.

Pour cela, il faut savoir parler à la tech qui sait faire des choses, et pas uniquement à celle qui achète sans prendre de risques des produits prêts à l’emploi sur étagère, qui renforcent notre déficit commercial abyssal.

La France est un géant du logiciel qui s’ignore et se dévalorise trop souvent. Les fondateurs idéalistes qui veulent changer le monde devraient se voir dérouler le tapis rouge, quelle que soit leur formation et la difficulté de leur projet.

C’est ce que j’avais proposé il y a 11 ans au gouvernement de François Hollande. La secrétaire d’État au numérique de l’époque, Fleur Pellerin, a choisi une vision différente : celle d’une Tech focalisée sur l’aide au financement et la fiscalité (une chose importante à laquelle j’ai beaucoup aidé), mais qui n’a pas su mettre en valeur les personnes qui la bâtissent : les développeurs, les designers et les “builders” de nouvelles classes de produits.

C’est tout le paradoxe de la French Tech : il n’y a jamais eu autant d’argent disponible pour l’innovation, mais parce que les techniciens ont été remplacés par des technocrates, ceux qui ont des idées différentes ou l’envie d’en découdre avec les grandes plateformes préfèrent partir se battre aux États-Unis. Ceux qui ont fait le choix de la France ne sont pas suffisamment soutenus et doivent faire face, comme je l’ai vécu avec Netvibes et Jolicloud, à un mur de scepticisme.

À l’occasion de l’invitation qui m’a été faite par Aurore Lalucq et Raphaël Glucksmann pour parler de numérique lors des Rencontres de Place Publique ce week-end, j’en profite pour partager avec nos abonnés cet article que j’ai publié sur l’excellent site de débat Sans Doute.

J’avais écrit cet article alors que la France se cherchait encore un Premier ministre. Je pense qu’il reste toujours d’actualité.


Redevenir une nation qui compte dans le numérique

Ce changement de gouvernement est une opportunité pour réfléchir à une impulsion différente en termes de stratégie numérique de la France.

Après dix ans de marche forcée au rythme de la start-up nation, il est temps de constater que cette stratégie n’a pas donné les résultats escomptés à l’échelle de l’État, de l’économie ou des citoyens.

La transformation numérique de l’État était censée nous apporter une plus grande simplicité, une plus grande efficacité et une réduction des coûts.

Sur ces trois points, hélas, nous avons échoué.

Au niveau de l’État

Si certains services ont l’apparence de la simplicité, ils ne font que masquer une bureaucratie bien analogique qui montre des signes de faiblesse. Prenons le renouvellement d’un passeport ou d’une carte d’identité : la simplicité du formulaire en ligne n’élimine pas les délais très importants pour son obtention.

Sur l’efficacité, il y a beaucoup à dire. Contrairement à un pays comme l’Estonie, nous n’avons pas réussi à instaurer une confiance dans les algorithmes. Pour de nombreux parents, un service comme Parcoursup reste un logiciel opaque dont les choix sont souvent contestés.

Enfin, en ce qui concerne les coûts, le discours moderne est contredit par le monstre informatique créé par les grandes SSII, qui dévorent avidement les budgets sans réussir à sortir les produits. Prenons l’exemple du logiciel Scribe, qui aurait dû rendre la Police plus efficace, et qui n’a jamais vu le jour malgré les 12 millions d’euros engloutis par le prestataire.

L’État ne doit pas ressembler à une start-up ; il doit être une horloge suisse numérique, un outil capable de répondre à toutes les demandes avec précision, loyauté et, surtout, la confiance des citoyens. Pour cela, une seule solution : comme pour les JO, il faut y mettre les moyens, fixer des échéances et recruter les meilleurs profils. Des profils avec de vraies compétences techniques.

Pour notre économie

Il va falloir accepter que la stratégie numérique consistant à tout miser sur les start-up soit un échec. Tout d’abord parce qu’un écosystème de start-up ne produit qu’un très petit nombre de succès. Ensuite parce que les sorties possibles n’existent pas vraiment en France. Les grandes entreprises du CAC40 ne souhaitent pas, ou ne savent pas, acquérir des licornes, et les sorties ne sont possibles qu’à la Bourse américaine, ce qui ne laisse de chance qu’aux acteurs ayant une vraie stratégie internationale. Beaucoup de ce que nous appelons des licornes sont en réalité des PME technologiques. Avec des marchés locaux et des possibilités à l’export, elles auraient pu bénéficier d’outils financiers adaptés. Les obliger à croître trop vite les fragilise dans un environnement économique dégradé.

Il faut ensuite comprendre que notre dépendance aux GAFAM a plombé notre économie. Entre 20 et 30 % de nos investissements (et de nos profits) sont capturés par ces services incontournables. Depuis 20 ans, à travers mes start-up Netvibes et Jolicloud, mon passage au Conseil national du numérique, et la mission que j’ai réalisée pour le gouvernement, je plaide pour que nous développions des alternatives.

Construire des plateformes alternatives nous donne des options pour l’avenir, car de la culture à la cybersécurité, nous avons tous les talents et le savoir-faire. Ce que nous n’avons plus, ce sont les vecteurs de croissance (mobile, cloud, réseaux sociaux), qui sont tous extra-européens.

La France, avec son histoire numérique, pourrait être le moteur d’une véritable stratégie d’émancipation logicielle en Europe.

Vis-à-vis du citoyen

Le rôle de l’État est de protéger l’intégrité numérique de tous ses citoyens. Cela signifie les protéger face aux guerres cybernétiques (cyber) et cognitives (désinformation) et garantir la protection de nos doubles numériques dans le monde de l’IA. D’où l’importance d’un vrai service d’identité numérique qui offre toutes ces protections.

La France n’est pas en retard dans le numérique ; elle a cédé pendant une décennie aux sirènes de la communication. Le choix qui se présente à nous est de revenir dans le jeu en acceptant d’aborder les grands sujets et de mener les grands combats technologiques. Il y a 30 ans, un téléphone mobile sur trois était fabriqué en France, et nous étions le leader des télécommunications. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde numérique créé par d’autres. Il est encore temps de nous réveiller et de relancer nos ingénieurs sur ces projets ambitieux. Car il y a une chose encore plus importante que d’être une nation numérique, c’est d’être une nation qui compte dans le numérique.

Au travail.


Merci de nous avoir lu et à bientôt sur Cybernetica.

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D'ailleurs, tous nos membres peuvent consulter la version complète de notre mini-enquête sur Pavel Durov. Pour l’instant, nos théories tiennent la route.

🔴 Que penser de l’arrestation de Pavel Durov ?
L’affaire Pavel Durov. Sommes-nous au cœur d’une affaire d’espionnage ou de simple régulation des réseaux sociaux ?
🫣
Entre-temps je me suis souvenu que je l’avais rencontré lors d’une conférence Tech à Munich en 2016. Je l’avais complètement oublié !

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L’histoire de Cybernetica pour les nouveaux abonnés (et les anciens)

Pour ceux qui ne nous connaissent pas encore, Cybernetica est un espace de réflexion au croisement de la technologie, de la culture, des questions sociétales et de la géopolitique dans laquelle j’intègre les questions de défense.

C’est un espace singulier parce qu’il défend une vision humaniste et réaliste du monde numérique. Cette vision s’est construite à travers mes divers parcours de vie et les grands écarts intellectuels que j’affectionne :  de Radio Nova à Davos, de l’underground informatique des années 80 au conseil national du numérique, des start-ups de la Silicon Valley aux villes futuristes de l’Asie du sud est, du stylo-plume au stream. Mais aussi au fil de mes rencontres, qui m’ont inspiré, mentoré et parfois désarçonné.

L’idée de Cybernetica a germé quelques jours après le début de la guerre en Ukraine quand l’Élysée me contacte en urgence. Ils souhaitent utiliser les slides d’une de mes conférences pour un Conseil de Défense.

Lors de cette conférence réalisée pour le Cyber Commandement, j’avais mis en avant les différentes menaces numériques avec un passage sur la question de la protection des câbles sous-marins.

Plusieurs personnes m’ont convaincu qu’il était temps de donner plus de forme à mes idées, et de les diffuser plus largement que les conférences et les cours que je donne à l’IHEDN, à Science Po ou à l’Institut Français de la Mode.

Ma position est simple. Le numérique que nous connaissons depuis le début des années 90 n’existe plus et il n’y aura plus de retour en arrière possible.

🚨
Tous les projets avec 2030 dans leurs titres sont obsolètes, ils ont été pensés pour un monde fantasmé. Tout est à revoir.

C’est une position difficile à accepter. Et moi non plus je n’étais pas prêt.

C’est avec les attentats de Paris en 2015 (qui m’ont touché durement) que j’ai compris brutalement que quelque chose avait changé.

Alors que l’Internet était aussi devenu un outil de propagande et de recrutement des jihadistes, la presse continuait à encenser sans discernement les réseaux sociaux.

J’avais commencé à entrevoir leur côté obscur quelques années auparavant lorsque j’avais lancé Jolicloud, un OS souverain et alternatif aux plateformes mobiles.

Pour comprendre ce qu’il se passait, j’ai commencé à me pencher plus sérieusement sur les questions d’addiction du mobile et sur le potentiel de polarisation et de désinformation de la société par les réseaux sociaux.

En 2016, je publie un manifeste Slow Web qui était un appel à mes amis de la Silicon Valley pour changer la manière de développer des applications. Un appel assez vain car le design de persuasion est plébiscité pour construire des adoptions de produits records. Couplé au facteur K, il devient irrésistible. Tout le monde l’utilise et il est même enseigné à Stanford.

👉
Le K-Factor est un terme inspiré de l’étude de la propagation des virus en épidémiologie. On l’utilise en marketing web pour qualifier le niveau de croissance « virale » (auto-entretenu) des bases clients ou des visiteurs d’applications web ou mobiles.

La culture du "Move fast and break things" qui s’est insérée dans des produits utilisés par plus d’un milliard d’utilisateurs a généré des effets secondaires que les grandes plateformes n’arrivent plus à juguler. En changeant les comportements et la psychologie des utilisateurs avec des techniques de « dark patterns », en créant des montées de dopamine qui obligent les utilisateurs à rester en permanence sur leur téléphone, les « apps » ont changé la psyché des sociétés occidentales.

En s’immisçant dans la vie privée des utilisateurs et en désorganisant leur intimité numérique, elles ont aussi altéré la stabilité émotionnelle de certaines populations fragiles, dont les frustrations et les colères sont facilement transformées en votes extrêmes.

Le référendum du Brexit (Dominic Cummings) et la campagne de Donald Trump (Steve Bannon) ont su utiliser ces techniques de manière assez spectaculaire. Elles ont été financées par Robert Mercer, un génie de l’IA qui a fait fortune dans le trading à haute fréquence et qui a appliqué les mêmes recettes à l’information. De la même manière qu’existe le brouillard de la guerre de Clausewitz, il existe désormais un brouillard informationnel.

C’est le cœur du livre Les ingénieurs du Chaos, de Giuliano da Empoli, qui raconte comment la démocratie italienne a succombé avant le reste de l’Europe à ces techniques.

Des ingénieurs aux fonctionnaires du Chaos

Même le cœur de l’État a cédé à ces méthodes. En voulant rendre l’État aussi fluide que les GAFAM, on l’a aussi rendu aussi polarisant !

Les Start-Up d’État, très populaires en France, ont créé beaucoup de frustrations, avec un remplacement systématique des services publics par des applications pas toujours très efficaces et équitables.

Prenons par exemple la mise en algorithme de l’éducation nationale avec Parcours SUP. Il y a eu une véritable défiance face à cette hypercentralisation logicielle.

Là ou l’État parle de méritocratie digitalisée, beaucoup de parents y voient un système opaque et injuste où l’intervention humaine n’existe plus.

À vouloir aller trop vite, on a créé une défiance vis-à-vis du système. Et quand l’État « définance » ou supprime des services publics au profit de start-ups qui ne bénéficient qu’à une petite partie de la population, il joue avec le feu. Pour beaucoup, la numérisation à marche forcée des citoyens est vue par les plus anciens et les plus vulnérables comme une forme de violence.

Le plus inquiétant, c’est que cette culture du move fast and break things touche aussi des domaines où la prudence est censée être la norme.

La récente panne géante des postes Windows sous Crowdstrike, qui a mis par terre des millions de machines, en est l’exemple le plus flagrant.

Une des explications possibles, c’est la pression incessante sur les employés de la Silicon Valley à travailler non stop couplé à la démonisation de la culture de prudence du contrôle qualité. Résultat, une erreur de débutant en C++ a été mise en production et paralysé une partie du monde. C’est l’illusion de la “Fast Security” qui nous fait croire qu’il est possible de mettre à jour la politique de sécurité d’une entreprise en un clic, comme si on mettait à jour un iPhone.

Bienvenue dans l’ère de la géopolitique computationnelle

La culture du move fast and break things n’a pas que des effets sur les populations, mais aussi en termes géopolitiques. Il est devenu facile d’atteindre des populations qui ne sont pas stables émotionnellement depuis l’extérieur. En contrôlant ou en utilisant des failles logicielles.

Tous les logiciels que nous considérions comme neutres, comme l’e-mail, sont désormais politisés. Prenons Gmail qui a été attaqué par les Républicains parce que leurs newsletters souvent agressives et envoyées sans le consentement de l’utilisateur étaient rangées dans l’onglet « Autres ». Elon Musk lui-même a orchestré les Twitter files pour expliquer qu’il allait changer l’algorithme de présentation des informations.

Un meme devenu populaire sur X

L’opacité de ces outils est une aubaine pour les spécialistes de l’ingérence. Les histoires Télégram, X au Brésil ou Tiktok ne sont que des versions interchangeables du même scénario : celui qui contrôle le logiciel contrôle ses utilisateurs. Les vrais changements ne sont plus visibles pour le régulateur ou le politique.

Nous sommes passés de la transformation numérique, où tout ce qui était lié au numérique semblait positif, au numérique de l’incertitude, où tout ce qui est lié au numérique est probablement une source de problèmes.

🤦‍♂️
Hélas, beaucoup de Chief Digital Somethings n’ont pas encore reçu le mémo.

Cybernetica est la communauté de ceux qui veulent anticiper ce numérique de l’incertitude et repenser leur stratégie.

Pas d’antidote miracle, mais des idées et quelques mots-clés du prochain monde : Edge and tactical Cloud, IA, Internet, Splinternet, Warfare, Digital Warfare, PsyOps, désinformation et ingérence, Like War, Mobile, Post-mobile, Open Web, Slow Web, post-web, Personal Data, AI Data, synthetic Data, Social Media, Dark Forest vs. Public Web, Dead Internet Theory, cultural models vs LLM, epistemic warfare.

Et maintenant la newsletter ;)

La prochaine bulle IA est déjà là

Alors que l’iPhone 16 pointe le bout de son nez, on a l’impression qu’Apple n’a plus beaucoup de tours dans son sac. Son offre IA s’apparente plus à un correcteur orthographique qu’à une révolution majeure.

Avec une levée de fonds plus longue et complexe que prévu pour OpenAI, le scepticisme commence à gagner certains acteurs. Il n’est pas impossible que pendant l’année 2025, nous basculions plus vite que prévu dans une ère post-IA générative.

Comme nous l’avions indiqué dans un précédent essai, la bulle de l’IA de fin 2023 et début 2024 était surtout une bulle de disponibilité des GPU. Elle aura fait la fortune de Nvidia, AMD, TSMC (mais pas celle d’Intel). Un ami qui construit des datacenters m’a expliqué qu’il existait même un marché gris des puces en Europe pour les moins chanceux.

Fin 2023, tout datacenter de la planète se devait de communiquer sur le fait qu’il avait quelques Nvidia A100 ou H100 dédiées à l’IA pour retrouver une forme de crédibilité auprès de ses clients. Les ressources étaient si rares qu’une start-up française bien connue a même été obligée d’utiliser discrètement des ressources publiques de calcul (avoir des relations haut placées, ça aide) car son partenaire privé de compute aux États-Unis n’était pas prêt. Pour les grands acteurs du Cloud comme Microsoft, AWS et GCP, c’était l’aubaine pour facturer encore plus cher leurs offres d’IA générative souvent bricolées sur des technologies open source.

Puis, Elon Musk et surtout Meta ont « tué le game » avec des commandes absolument gigantesques.

On en sait plus sur Cortex, l’OS AI de Tesla qui remplacera Dojo.

➖ 100 000 GPU (H100/H200)

➖ Puissance électrique pour le refroidissement 130 MW cette année 500 MW (un demi-réacteur nucléaire) sous 18 mois

D’après Fortune, la moitié des revenus sont liés à 4 acheteurs exclusivement !

Pour combien de temps encore ?

Mais depuis quelques mois, il n'y a plus de pénurie de puces. L’approvisionnement en puces B200 de dernière génération est assuré, selon les dires du patron de Nvidia. AMD est toujours dans la course car ses GPU coûtent bien moins cher que les Nvidia et disposent de plus de mémoire vive.

Le vrai problème, c’est celui de l’énergie, des datacenters à construire d’urgence, et de l’eau.

Une carte datant de 2023.

Aux États-Unis, David Cahn de Sequoia, auteur de « L’IA : une question à 600 milliards de dollars », l’explique parfaitement. Aux USA, la pénurie de produits et de main-d’œuvre pour la construction de datacenters est à son comble. Il n’y a plus un seul groupe électrogène à vendre. Mettre la main sur des terrains encore accessibles devient de plus en plus complexe (les villes ont peur des datacenters voisins qui font exploser le prix et la disponibilité de l’eau courante).

Mais ce n’est rien à côté des besoins en énergie, surtout l’énergie propre à faible émission de CO2.

Les “Magnificent Seven” sont face à un paradoxe : l’annonce pré-IA générative de leur neutralité carbone d’ici à 2030 et la consommation hallucinante des modèles de données qui les obligent à revoir leurs promesses.

L’astuce consiste désormais à remplacer l’énergie sale (charbon utilisé dans des États comme la Caroline du Nord ou la Virginie-Occidentale) par de l’énergie « propre » qui permet de publier de meilleurs rapports environnementaux.

C’est sous ces angles qu’il faut désormais voir tous les deals d’investissement en Europe (Choose France avec Microsoft et Google, ou encore l’Espagne avec Amazon). Curieusement, les acteurs français historiques qui ont une vraie expertise dans les datacenters à faible consommation d’eau (OVH, Scaleway) n’ont pas vraiment profité de ce boom.

La raison est simple. Jusqu’à récemment, les Big Tech ne construisaient plus leurs propres datacenters, car la valeur était exclusivement dans le logiciel. Désormais, elle est dans le compute, c’est-à-dire dans le hardware qu’il faut posséder à tout prix. Amazon a privatisé une centrale nucléaire en Pennsylvanie, et Mark Zuckerberg expliquait qu’il en cherchait une de son côté pour couvrir les besoins de Meta.

Il y a évidemment une question que personne n’ose poser : savoir si leurs besoins en énergie vont déborder et dévorer les usages courants des populations et des autres industries.

Avec la technique du ruban énergétique, il leur est possible d’acheter longtemps à l’avance et à des prix super négociés la meilleure énergie possible. Cette capacité d’achat pose la question de la compétitivité environnementale pour les entreprises des autres secteurs qui n’ont pas forcément le cash pour acheter une énergie propre en pleine inflation.

Aucun homme politique n’a pour l’instant souhaité se positionner sur ces questions. Le problème ne fait que commencer car tous les géants de l’IA sont obnubilés par les “Law of Scale”, autrement dit, la course au plus gros LLM qui les rapprochera d’une forme de sentience monétisable

Ce qui aura aussi comme conséquence une consolidation des créateurs de modèles et des propriétaires des moyens de calculs. Le partenariat entre Amazon et Anthropic pour le lancement du nouveau Alexa, le rapprochement entre OpenAI et Apple en sont peut-être les premiers signes. Une chose est certaine, les acteurs indépendants comme Mistral vont devoir trouver, à mon avis, un point de chute rapidement.

2025 sera l’année du reality check, mais aussi les prémices de la prochaine bulle, celle des robots humanoïdes dopés aux LLM.

Une liste déjà obsolète ou l'Europe est notoirement absente.

Tous les ingrédients sont là. Même Apple a un projet sous le coude. Les blogueurs tech et les cabinets de conseil ont déjà commencé à faire monter la mayonnaise : c’est à nouveau la révolution qui devrait entièrement changer le monde. Et pour une fois, je suis plutôt d’accord avec cela.

Le vrai sujet politique des 10 prochaines années, ce n’est pas l’Intelligence Artificielle, mais quelle politique d’automatisation de la société nous souhaitons avoir (ou subir).

Le film Romulus, que je conseille vivement aux fans de science-fiction, met en scène une bande de jeunes, dont le destin est totalement lié à la société Weyland-Yutani. Pour ses besoins d’expansion, elle utilise des androïdes dotés de plusieurs niveaux d’intelligence pour leurs tâches ingrates. Androïdes qui sont souvent plus loyaux à leur entreprise qu’à leurs collègues humains.

Rappelez-vous ce scandale quand un robot d’Amazon se déplaçait avec un spray percé de répulsif pour les Ours ultra-toxique. Pendant que ce dernier continuait ses tâches, comme si de rien n'était, les humains autour de lui tombaient comme des mouches. Au final, 54 personnes hospitalisées et la question posée régulièrement de savoir s’il est souhaitable de mélanger robots et humains dans le même espace de travail.

Quelle automatisation pour la prochaine décennie ?

Il y a deux visions : celle d’une « enlightened automation » qui met l’humain au centre et rend sa vie plus facile (la ligne 1 automatique du métro parisien). Et celle de la « dark automation » où les humains ne sont pas prioritaires, comme on peut déjà le voir en Chine.

C’est une question qui m'obsède de plus en plus. Avec le dérèglement démographique des pays industrialisés, la question de l’automatisation n’est plus une question académique, mais une question de survie.

Historiquement, le Japon a inventé la robotique dans les années 70 pour limiter sa politique migratoire. Aujourd’hui, il faut des robots dans les hôpitaux pour s’occuper des patients car il n’y a plus assez d’infirmières en âge de travailler. L’avantage de la démographie, c’est qu’elle est hautement prévisible. Le Japon et la Corée, c’est l’Allemagne dans 10 ans et le reste de l’Europe dans 20 ans (mais pas la France).

Il n'y a plus de politique du Care au Japon sans les robots.

La robotique de 2024 pose toutefois d’autres questions.

Veut-on une politique migratoire des robots (fabriqués en Chine et programmés selon les valeurs de leur créateur) ou des robots conçus en Europe ?

L’automatisation est un sujet hautement politique mais totalement inexistant des débats politiques. De la même manière qu’un robot androïde pourrait remplacer les Bangladeshis dans les sweatshops d’Asie, il pourrait aussi « prendre » le travail des migrants qui viennent en Europe pour y effectuer les tâches les plus ingrates.

Avec moins d’habitants et plus de tâches remplaçables par la machine, on peut se poser une autre question : faut-il conserver le même niveau de complexité administrative dans un pays, notamment la France, ou construire un environnement plus simple ? 

Une chose est sûre, notre bureaucratie est pensée pour le plein-emploi et nécessite beaucoup de tâches de contrôle et de normalisation. Ce modèle peut-il encore marcher dans 10 ou 20 ans avec 20 à 30 % de fonctionnaires en moins?

C’est une question qui avait sûrement sa place lors de la discussion sur la réforme des retraites.

Sur ces questions de simplification, j’ai toujours pensé que la complexité administrative hyper centralisée était une forme de protection que s’octroient les pouvoirs en place pour justifier une partie de leur pouvoir. Ils n’ont donc pas toujours intérêt à vouloir simplifier.

Une question identique se pose pour l’automatisation du monde physique. Gardera-t-on la complexité des processus pensée pour le monde démographique d’avant ou profite-t-on de l’automatisation pour remettre à plat la façon dont nos économies fonctionnent ?

Il ne faut pas oublier que les robots, aussi productifs soient-ils, ne consomment pas, à la différence des travailleurs humains. Ils n’achètent pas de bière le soir, ne vont pas aux matchs de foot, ne prennent pas leur voiture pour s’arrêter aux supermarchés, n'amènent pas leurs gosses au parc le week-end. Et surtout, ils ne créent pas, ne changent pas les normes sociales, n’écoutent pas les nouvelles musiques, ne regardent pas de films en salles.

Je trouve stupéfiant que la mission IA générative coordonnée par Anne Bouverot et Philippe Aghion ait mis ces questions essentielles sous le tapis pour, au final, nous sortir un rapport déjà obsolète au moment de sa sortie.

IA, automatisation, démographie et énergie sont les nouveaux paramètres de la géopolitique mais aussi des futures guerres.

En Ukraine, qui est le patient zéro technologique de la prochaine guerre mondiale, les Russes, pour faire face aux drones, se sont d’abord attaqués aux brouillages des réseaux avec un certain succès. Désormais, leur focalisation est de détruire les sources de production d’énergie pour en limiter les attaques (utiliser des groupes électrogènes montés sur des pickups pour contrôler des drones a ses limites).

Car ce qui a sauvé l’Ukraine, c’est d’être connectée au réseau électrique européen et d’avoir pu profiter à plein de sa solidarité.

Une automatisation centralisée ou fédérée ?

De la même manière l’Europe sera plus forte si elle interconnecte ses plateformes d’automatisation. Avec une question essentielle : les construira-t-elle elle-même ou utilisera-t-elle les services des GAFAM avec le même niveau de dépendance que sur le cloud aujourd’hui

Peut-on imaginer un pays dont toutes les forces vives numériques, c'est-à-dire ses robots, seraient contrôlées par une entité extérieure ? 

Les paris sont ouverts. À méditer.

Nous aurons l’occasion de revenir sur certains de ces sujets tout au long de l’année.

Maison d’édition

Nos prochains essais prévus pour cette rentrée.

Trilogie de la souveraineté numérique 

  1. Comment la France s’est vendue aux GAFAM
  2. Lettre à ceux qui veulent faire tourner la France sur l’ordinateur de quelqu'un d'autre 
  3. Après la souveraineté numérique : survivre à l’hiver numérique ( écrit en 2022 mais en cours de mise à jour)

Trilogie sur la nation technologique

  1. Imaginer une alternative à la Start-up Nation 
  2. Pourquoi la tech française va droit dans le mur
  3. Comment la France pourrait être la troisième puissance économique mondiale (en cours de finalisation) 

Interventions dans les médias 

Ciné-Club

Sci-fi

Terminator Zéro (2024) est une délicieuse surprise sur Netflix après les récents films de la franchise, assez catastrophiques. Une vision japonaise de l’IA et des paradoxes temporels traitée tout en finesse. Produit par Studio IG, qui a notamment réalisé Ghost in the Shell (1995).

Romulus (2024) est un peu le Rogue One (2016) de la franchise Alien. Très bons décors, personnages attachants, histoire qui ne change pas le canon. À voir !

Espionnage

The Old Man (2022) est une excellente série d’espionnage en sept épisodes. Excellente distribution et histoire très captivante. La saison 2 arrive bientôt.

Cypher (2003) un film que j’ai revu avec plaisir. Un thriller techno paranoïaque plutôt bien fait, un mélange entre Memento et Johnny mnemonic fait par un réalisateur très mal utilisé par hollywood. Il a tout de même réalisé plusieurs épisodes de The Peripheral (2022), une série créée par les producteurs Westworld (2016) d’après le livre culte du William Gibson.

Topaz (1969) est un film d’espionnage d’Alfred Hitchcock avec Philippe Noiret et Michel Piccoli. Michel Piccoli est absolument remarquable de froideur dans un autre classique du genre, Espion, lève-toi (1982).

Mais aussi: 

Et pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, Emilia Perez (2024) est l’un des films de l’année.

Merci pour votre temps.

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🔴 Que penser de l’arrestation de Pavel Durov ?

🔴 Que penser de l’arrestation de Pavel Durov ?

Depuis l’arrestation de Pavel Durov à Paris, les réseaux sociaux sont en ébullition. Au fil des jours, les journaux du monde entier égrènent de nouvelles informations, et chaque influenceur y va de sa propre théorie.

Sommes-nous au cœur d’une affaire d’espionnage ou de simple régulation des réseaux sociaux ?

Est-ce que, comme l’affirme le Canard Enchaîné, l’invitation à venir en France était un piège tendu ?

Paul du Rove (son nom français) était-il au courant qu’un mandat d’arrêt international avait été émis par la justice française le 8 juillet ?

Pourquoi le Kremlin, ennemi de Telegram autrefois, a-t-il pivoté vers une position de défense de Durov après son arrestation ?

Pourquoi les Émirats arabes unis ont-ils soumis une demande à la France pour fournir des services consulaires à Durov ? (Qu’il a refusé)

Beaucoup de questions sans réponses.

🤔
Comme souvent dans ce genre d'affaires, la question n’est jamais vraiment pourquoi, mais pourquoi maintenant.

Alors que Pavel Durov vient de sortir de 96 heures de garde à vue, a dû payer une caution de 5 millions d'euros et a pour interdiction de quitter le territoire. C’est une histoire qui ne fait que commencer. 

Nous allons dans ce post réservé aux membres payants de Cybernetica nous interroger sur les implications géopolitiques de cette arrestation.

Cette arrestation très médiatisée a éclipsé une autre information de taille : nous avons appris que deux des principaux soutiens financiers d’Elon Musk pour le rachat de Twitter entretiennent des relations proches et privilégiées avec le Kremlin.

A l'instar du splinternet, une fragmentation de l’Internet, les réseaux sociaux (qui sont aussi des services de messagerie interpersonnels) ont également leur rideau de fer et leurs sphères d’influence.

1 messagerie sur 2 est en dehors du scope des États-Unis.

Face au camp des plateformes classiquement alignées sur les États-Unis (Google, Meta, Apple, Microsoft), il existe deux services utilisés par les populations occidentales sur lesquels le gouvernement américain n’a pas de prise :

- TikTok : 1 milliard d’utilisateurs, dont 150 millions aux USA

- Telegram : 1 milliard d’utilisateurs prévu pour 2024

Il y a aussi X. 

- X (ex-Twitter) : 540 millions d’utilisateurs

Bien que la société soit américaine, Twitter a une longue histoire d’ingérence et d’influence. C’est le lieu de rendez-vous préféré des ingénieurs du Chaos. 

Pendant des années, les oligarques russes et chinois ont fait fortune avec les entreprises de tech sans avoir d’influence politique directe sur ces dernières.

Tout passait par l’indirect : on dit que de nombreuses agences, dont les services russes, ont infiltré des agents dans les équipes techniques ou soudoyé des employés pour accéder à certains secrets de fabrication, comme les algorithmes de ranking. Le cas le plus connu est celui de l’Arabie saoudite, prise la main dans le sac chez Twitter.

Lire Saudi infiltration of Twitter

Dans le contexte du rachat de Twitter par Elon Musk, il s’agissait de prendre le contrôle opérationnel et informationnel du produit. Au nom de la liberté d’expression.

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Elon Musk est pourtant dépendant pour ses prêts d’oligarques russes, mais aussi de la Chine, pièce maîtresse pour la fabrication de Tesla, ce qui explique la relative bienveillance de son patron vis-à-vis de l’Empire du Milieu.

La Chine a été encore plus loin en créant des outils d’influence géopolitiques profitables. C’est ce qui rend TikTok très intéressant. Il combine à la fois contrôle étroit de la Chine et revenus importants (plus de 16 milliards en 2023). C’est à ma connaissance le seul outil d’ingérence “profitable” sur l’Internet.

Telegram, en revanche, reste flou. Contrairement à WhatsApp, qui reste une danseuse pour Meta, Telegram ne peut que s’appuyer sur ses revenus modestes et ses levées de fonds réalisées au plus haut de la bulle crypto.

PS : Le Wall Street Journal révèle que les Émirats arabes unis, terre d’adoption de Pavel Durov, ont investi 75 millions de dollars.

Les levées de fonds de Télégram

Malgré les déclarations égocentriques du fondateur, Telegram n’a pas le même niveau de contacts que les grandes plateformes américaines, qui n’ont pas hésité à recruter des grands pontes du renseignement à leur board. Ce qui ouvre des portes, et offre une forme de protection diplomatique.

Que penser de l’arrestation de Pavel Durov ?

De nombreuses théories circulent, voici celle qui a ma préférence. Il faut la prendre avec des pincettes.

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🟢 Pourquoi la tech française va droit dans le mur (2ème partie)

🟢 Pourquoi la tech française va droit dans le mur  (2ème partie)

Une inquiétude croissante

Je suis très inquiet et de plus en sceptique sur la stratégie numérique de la France (informatique, cloud, IA, et cybersécurité).

Nous avions tous les atouts pour devenir un acteur majeur et nous avons construit à la place un château de sable. Avec le krach boursier qui a fait chuter les valeurs technologiques, nous n’avons plus le droit à l’erreur.

En cas de retournement brutal du secteur, nous serions extrêmement fragilisés et exposés, bien plus qu’aux États-Unis où une grosse purge de 800 milliards de dollars de valeur ces derniers jours n’a pas altéré les fondations du modèle tech.

L'Europe et la France sont dans une situation fragile

Ce n’est pas la même chose pour ce côté-ci de l'Atlantique. Les conséquences seraient catastrophiques. 

Les Big Tech, sous pression des investisseurs d’augmenter leurs revenus, ont un moyen simple pour le faire : provoquer une inflation du prix de la tech en Europe. 

L’impact sur notre vie quotidienne sera d’autant plus important (imaginez vos services de streaming préférés ou votre back-up cloud augmenter de 30 %) que nous n’avons aucune alternative. J’ai découvert récemment que Canal Plus, autrefois leader incontesté du décodeur, s’appuie désormais sur l’Apple TV pour sa distribution.

L’économie française n’est pas préparée à une telle hausse. Il suffit de voir la mauvaise surprise des grandes entreprises quand elles ont vu le prix des licences VMware exploser sans préavis, mettant en péril leurs budgets informatiques. 

Il semble évident que le cloud et l'IA vont suivre le même chemin. Traire la vache à lait européenne n’est pas un bug mais une feature.

Le marché des licornes européennes et françaises va lui aussi souffrir.

Un saut dans l'inconnu

Aucune banque d'affaires ne souhaite introduire une startup au NASDAQ à moins de 40 milliards de valo — cela élimine un grand nombre d’entre elles (y compris toutes les startups françaises).

Les acquisitions de taille importante (Figma) sont bloquées aux États-Unis par Lina Khan à tel point que l’on achète et déguise des acquisitions de startups en recrutement de talents (Inflection AI chez Microsoft, Character AI chez Google).

Avec les investisseurs étrangers qui ont délaissé la France sauf pour l’IA, un crash de plusieurs licornes de la French Tech semble désormais inévitable, sauf nouveau sauvetage de dernière minute du gouvernement. Un sauvetage qui serait difficile à justifier politiquement vu la situation économique de la France.

J’ai profité des JO pour parler avec des amis entrepreneurs américains. Ils confirment mes craintes : l’Europe est vue comme une vache à lait dirigée par des gens qui ne connaissent rien à la Tech et qui achètent au prix fort, et ce malgré des ingénieurs excellents. 

J’ai déjà détaillé comment fonctionne ce modèle de la Silicon Valley 2.0 ici.

Le moment de vérité pour l'IA générative aux États-Unis

Ce Flash Crash de la Tech US se traduit différemment selon qu’on s’appelle les États-Unis ou l’Europe.

Aux US, la question c’est faut-il continuer à prendre des paris qui se chiffrent en centaine de milliards sur l’IA générative en espérant un retour massif ? Ou doit-on réduire la voilure des investissements du trio de tête (Microsoft, Google, Facebook) parce que les retours espérés sont trop loin dans le temps? Beaucoup d’investisseurs institutionnels, à la différence des VC, n’aiment pas le risque long terme et l’ont fait savoir. 

L’autre question posée par la note de Sequoia : « AI’s 600 Billion Dollar Question » est celle du business model et des usages. 

Selon les chiffres que nous avons pu réunir avec Cybernetica, L’IA semble dix fois moins rentable que le cloud classique. L’usage n’a pas encore réussi à dépasser les 150/200 millions d’utilisateurs.

Qui arrivera à construire le produit qui change tout ? Personne ne le sait, mais une chose est sûre, aucun des patrons de la Tech ne veut arrêter d’investir par peur de rater la martingale. Et ils semblent se moquer des inquiétudes des investisseurs institutionnels. 

Les chiffres sont astronomiques : 

1.Meta prévoit de dépenser jusqu’à 40 milliards de dollars dans l’infrastructure liée à l’intelligence artificielle. Heureusement les GPU investis les années précédentes dans le metaverse sont aussi réaffectés à l’IA et  Reels (le concurrent de TikTok).

2.Microsoft prévoit de dépenser 56 milliards de dollars dans l’infrastructure de l’IA l’année prochaine.

3.Google (Alphabet) prévoit de dépenser 48 milliards de dollars, ce qui représente 17 % des ventes totales, dans l’infrastructure de l’IA.

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Pour info, le nouveau plan IA d’Emmanuel Macron se chiffre à 430 millions de dollars.

Les investissements dans l’IA sont aussi en train de d’évoluer. 

En 2023, il fallait avoir rapidement accès aux meilleures puces (A100 et H100 de Nvidia) le plus vite possible. 

En 2024, c’est la question énergétique qui est au cœur du sujet. Il faut bien alimenter toutes ces puces!  

Amazon privatise une centrale nucléaire en Pennsylvanie, Microsoft investit 19 milliards d’euros dans des data centers en Espagne et 4 milliards d'euros en France. Selon nos analyses, les Big Tech vont investir au moins 53 milliards de dollars dans des data centers en Europe et en France

Parce que l’IA est tellement cruciale pour les géants du numérique, ils ont changé leurs doctrines. Avant ils ne possédaient pas leurs data centers, aujourd’hui ils investissent massivement pour contrôler toute la chaîne. C’est un changement de paradigme car si la valeur du SaaS venait du logiciel à opérer, la valeur de l’IA est liée au “compute”, c'est-à-dire la possession des puces et des data centers plutôt que leur leasing. 

L’Europe ne peut pas surenchérir, mais elle n’est pas non plus obligée de le faire. 

Nous sommes confrontés à deux choix : profiter de cette période pour repenser notre infrastructure et construire quelque chose qui nous correspond, ou continuer à copier la Silicon Valley sans en avoir les moyens ni les portes de sorties. Car les marchés continueront de donner de l’argent magique à la Silicon Valley et des contraintes aux acteurs européens. 

Pire encore, dans cette course aux communiqués de presse, la France dilapide ses principaux atouts (culture, ingénieurs, énergie décarbonée) alors qu’ils pourraient être mobilisés pour préparer une refondation de l’Europe numérique. 

Une vision à construire ensemble avec quelques pays.

Il ne serait pas idiot que la France, l’Angleterre, les Pays-Bas et l’Italie travaillent en commun de la prochaine génération de puces et de logiciels open source pour permettre de concevoir la prochaine génération d’infrastructures résilientes dont la guerre en Ukraine a fait l’éclatante démonstration de la nécessité.

Avec la chute possible de Mozilla dont les financements pourraient être arrêtés suite à la décision de justice sur Google, il ne serait pas idiot non plus d’imaginer un projet de browser européen pensé nativement pour la vie privée et totalement open source et open CPU.

L’important pour l’avenir, c’est de mettre en œuvre une vision qui accepte la réalité géopolitique de l’après-covid et la guerre en Ukraine, au lieu de nous vendre un retour fantasmé au monde d’avant comme le font les grands projets dit 2030. Mais nous aurons l’occasion d’en reparler.

Vivons-nous dans un Hôtel Technologique ?

Cette refondation numérique est d’autant plus nécessaire que dans le monde numérique, la France vit dans un hôtel. Elle ne possède rien et loue tout. Et cela plombe nos déficits.

Ce que nos journaux économiques ne disent pas, c’est que la productivité de la France et la consommation actuelle s’appuient essentiellement sur le cloud et les logiciels américains.

Quand la tech va bien, on peut se donner l’illusion que tout va bien et que la France est un pays qui embrasse le futur. Mais nous n’embrassons pas le futur, nous l’achetons au prix fort ou nous le louons, et nous décourageons ou faisons fuir ceux qui veulent proposer des alternatives. (j’en sais quelque chose!)

Pour comprendre notre faible marge de manœuvre, il faut connaître les 4 boîtes noires technologiques qui font tourner la France.

Stack 1 : ordinateur de bureau

La France des administrations et des entreprises tourne sur le duo Windows/Intel. Alors que Windows et Intel sentent le vent tourner et sont en train de basculer vers des ordinateurs à faible coût basés sur ARM, nous continuons à financer et à maintenir une infrastructure fatiguée, pas vraiment sûre (cf. CrowdStrike) et très coûteuse.

À part à la gendarmerie nationale, il n’y a eu aucune vision sur le futur du desktop en France. On continue de dépenser de l’argent pour maintenir une technologie des années 90.

Stack 2 : Cloud  

Une majorité de services des entreprises, des PME, des startups, et de l’État tournent sur des clouds américains ou utilisent des acteurs locaux qui fonctionnent avec des technologies sous contrôle américain (ce qui pose un risque pour l’export, y compris pour l’open source).

Aux États-Unis, nous sommes déjà dans l’ère post cloud et sa centralisation excessive pour entrer l’exploration de modèles alternatifs (Edge et infogérance 2.0). En France et en Europe, malgré les risques géopolitiques, la question énergétique et le prix non maîtrisable, la doctrine reste inchangée. 

Pour une raison très simple : le cloud permet de masquer l’indigence technologique des dirigeants politiques et économiques en permettant de délivrer des services rapidement. Au prix d’une dépendance technologique et financière totale.

L’absence de plan B alors que nous sommes entrés de plain-pied dans le numérique de l’incertitude fait froid dans le dos aux meilleurs spécialistes Cyber que j’ai rencontrés.

Stack 3 : Mobile

Dans les années 90, un téléphone GSM sur trois était fabriqué en France. Aujourd’hui, chaque Français utilise un téléphone mobile qui tourne sur un OS Apple ou Google.

Cela signifie que nos vies privées sont archivées et gérées par des services extra européens. Cette intimité numérique est en train de devenir une manne commerciale pour les modèles d’intelligence artificielle qui peuvent légalement aspirer toutes les données personnelles des Français pour améliorer leurs modèles d’IA. Modèles qui nous seront revendus par la suite.

En ne protégeant pas le web ouvert, pourtant créé en Europe, nous avons laissé les entreprises qui veulent distribuer leurs applications sur mobile aux mains de deux apps stores qui vampirisent 30 % de la valeur créée depuis 15 ans.

Quand on prend la peine d’y réfléchir un instant, notre quotidien numérique est désormais totalement défini par des entreprises extérieures à la France, par une centaine de product managers en Californie que nous ne connaissons pas

Il est impossible de savoir quelles conséquences les nouvelles fonctionnalités d’IA de création de contenus synthétiques prévues cette année auront sur la qualité de vie des Français. Vivre dans un monde où le faux est indiscernable de la réalité. Sommes-nous prêts ? 

Stack 4 : l’IA et la question de l’autonomie cognitive, énergétique et culturelle

Comme je l’avais indiqué lors de la keynote d’ouverture du Medef, nous vivons dans un pays dont les interactions sociales, culturelles et politiques  sont algorithmiquement médiées par les Big Tech.

Comme si cela ne suffisait pas, la culture (y compris la culture d’entreprise) pourrait y être remplacée par des « LLM » et des contenus synthétiques à faible valeur ajoutée. 

Dans cette vision qui a été présentée récemment à  l'Élysée, la France et son héritage culturel semblent totalement absents. Le fait que l’on puisse accepter de jeter en pâture aux grands modèles de données américains tout ce qui fait notre richesse est incompréhensible, sauf lorsqu’on découvre que le patron de l’IA de Facebook (toujours en activité) conseille la Présidence de la République.

😔
La politique numérique de la France plaît beaucoup aux patrons des Big Tech car elle minimise les atouts de l’Europe : la culture ne vaut rien, elle est extractible gratuitement comme une matière fossile.

Heureusement que la cérémonie d'ouverture a permis de rappeler au monde entier que la richesse culturelle de la France est un soft power extraordinaire et un potentiel économique sous exploité.

Repenser notre infrastructure ou se ruiner à copier?

L’autre potentiel sous exploité, c’est l'énergie décarbonée pilotable, si rare dans le monde occidental et nécessaire pour limiter les émissions carbones des Big Tech, déjà catastrophiques. Cet avantage certain ne profitera pas aux acteurs européens car il est déjà vendu en priorité aux acteurs US dans le cadre de l'opération Choose France. 

Ce qui est triste, c’est que la France, qui a imaginé historiquement une vision originale de l’IA (merci Alain Colmerauer), se retrouve à copier et former ses ingénieurs pour les préparer à travailler pour les entreprises US.

Selon la doxa il n’y a qu’un seul modèle, celui des LLM géants et coûteux. Nos meilleures écoles d’ingénieurs sont en ordre de marche pour fournir les talents.

L'IA traite l'Europe comme une culture indigène

La vision américaine (et chinoise) de l’IA est pourtant assez claire : traiter l’Europe comme une culture indigène. Prendre et extraire pour nous revendre ensuite des bibelots de productivité numérique. Ces choix vont continuer de nourrir le déficit abyssal de notre commerce extérieur.

Le vrai sujet n’est pas notre dépendance totale, mais bien notre incapacité à imaginer autre chose que ce qui se fait aux US. La France n’était pas comme cela dans les années 60/70/80. Elle savait trouver des domaines d’excellence, et construire. Mais elle savait aussi mettre aux commandes des bâtisseurs plutôt que des communicants.

Une bonne politique numérique doit libérer les talents, fixer de vraies ambitions technologiques et mettre les bonnes personnes aux commandes.

Quand nous nous fixons des échéances et de vrais objectifs et que nous ne mettons pas de personnes toxiques et incompétentes aux manettes, nous savons faire, les JO nous l’ont montré. Ne perdons pas espoir, mais arrêtons de croire aux chimères de la communication politique. Si nous ne changeons rien, nous allons dans le mur! 

À méditer.

✉️
La France aurait pu être la troisième puissance économique mondiale si elle avait fait les bons choix. J’en parle dans le prochain et dernier volet.

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Le Grand Temoin Informatique News

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